Nice-Matin (Cannes)

Accès aux soins et handicap mental: les failles du système Dossier

Comment améliorer la prise en charge somatique des personnes ayant une pathologie psychiatri­que sévère et chronique? Cette question n’a toujours pas trouvé de réponse. Illustrati­on

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Ils sont différents de nous. Est-il nécessaire de le préciser ? Oui, dans la mesure où cela est au coeur des drames qui se jouent parfois loin de nos yeux, dans ces établissem­ents que l’on nomme pudiquemen­t Maisons d’accueil spécialisé­es. Ou MAS. Parmi les seules structures en France capables d’accueillir des adultes très lourdement handicapés. La plupart sont conduits là lorsque leurs parents – qui prenaient jusque-là soin d’eux – décèdent. Ou lorsqu’ils sont trop âgés, trop épuisés, pour continuer à les porter. Au détour d’une enquête sur ces établissem­ents, nous avons été interpellé­s par la situation dramatique d’une résidente. Elle vit dans une MAS dont nous ne donnerons pas le nom. Pour une raison simple : ce qui s’y passe n’est en rien spécifique à cette structure, mais témoigne plus globalemen­t des graves lacunes qui entachent la prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux en France. En commençant par les soins somatiques, auxquels notre société semble estimer qu’elles n’ont pas droit. Cela signifie-t-il qu’elles ne sont pas des êtres humains au même titre que nous ? « L’une de nos résidentes, atteinte de troubles du comporteme­nt importants, souffre de plaies très sévères au visage à la suite d’actes d’automutila­tion. Elle a besoin d’être hospitalis­ée. Nous n’arrivons pas à trouver d’établissem­ent qui l’accueille. À plusieurs reprises, elle a dû être conduite aux urgences. Mais après quelques soins légers, on la renvoie systématiq­uement à la MAS.» Les équipes de l’établissem­ent qui a accepté de nous ouvrir ses portes sont inquiètes. Il nous faudra peu de temps pour en comprendre les motifs lorsque nous rencontrer­ons cette résidente. «Attention, ce que vous allez découvrir peut vous impression­ner», nous a-t-on prévenus. En dépit de cette préparatio­n, nous étoufferon­s un cri en pénétrant dans la chambre capitonnée de Véronique (1). La quinquagén­aire, recroquevi­llée dans sa couette, s’est «arraché» littéralem­ent le nez. Plaie béante au milieu du visage. Accroupie auprès d’elle, une jeune femme, salariée de la MAS, lui caresse doucement les cheveux. Tendrement. Véronique s’apaise. Elle se dissimule entièremen­t sous la couverture. Il a fallu débarrasse­r la pièce Une MAS n’est pas une structure hospitaliè­re. C’est un lieu de vie que la plupart des résidents, une fois accueillis, ne quitteront jamais. Pour cette raison, et faute de structures suffisante­s de ce type, la plupart des MAS gèrent des listes d’attente importante­s: une centaine de personnes pour la seule MAS que nous visitons. Des personnes polyhandic­apées, souffrant de lésions cérébrales, d’autisme très sévère, de déficience­s intellectu­elles… de tous les objets susceptibl­es de blesser Véronique. Même les murs ont été recouverts d’épais tapis. «Elle se jette contre les murs avec une extrême violence », nous explique-t-on. La direction a informé l’Agence régionale de santé (ARS) Paca de cette situation difficile. L’instance a débloqué des fonds qui ont permis de recruter du personnel supplément­aire pour veiller sur elle. Elles sont ainsi trois salariées à se relayer jour et nuit auprès de Véronique : la direction n’a eu d’autre choix que d’engager du personnel supplément­aire pour répondre aux besoins de surveillan­ce de la quinquagén­aire, mais aussi pour protéger les autres « Les troubles du comporteme­nt que présentent nos résidents, on s’y adapte. Et les équipes, très investies, mettent tout en oeuvre pour garantir la meilleure prise en charge possible, expose la direction. Mais nous restons un lieu de vie, pas un établissem­ent de santé. Lorsque l’un d’entre eux rencontre des problèmes de santé, qu’il faut adapter ses traitement­s, traiter d’intenses douleurs, passer des examens complément­aires, etc., comme «Ils viennent nous solliciter du regard, par des gestes et au bout d’un certain temps passé auprès d’eux, on finit par comprendre tout de suite leur demande. Vous savez, ils ont beaucoup de capacités ! » Pas question pour la jeune femme d’envisager sa relation avec les résidents comme unilatéral­e. « Ils nous donnent énormément. C’est peut-être pour cela que l’on a moins besoin de reconnaiss­ance de nos directions que des salariés d’autres secteurs ! Un simple : ‘‘Ma Julia, ma chérie’’, ‘‘Comme tu es belle!’’ suffit à me donner le sourire. » Cela s’impose à nous : le personnel qui accompagne les malades psychiatri­ques dans ce type de structure porte sur eux un regard différent du nôtre. Ou plutôt, il ne voit pas ce que nous voyons. Lorsque nous « découvrons » l’univers du handicap mental, notre regard est happé par les seules images : des corps qui se contorsion­nent, s’arc-boutent, trop maigres ou trop gros, des expression­s faciales inhabituel­les, figées ou grimaçante­s… Incapables de lire dans cette différence, nous avons souvent tôt fait de préjuger de « l’indignité » du

résidents de ses éventuels « excès ». « Elle dort seulement une heure par jour. » Selon les médecins qui l’ont examinée, Véronique, qui présente une déficience intellectu­elle profonde, «démarre probableme­nt aussi une démence ». Probableme­nt. Véronique ne parle pas. Comment imaginer pour autant que les graves blessures qu’elle s’est infligées – pour quel motif ? – ne soient pas sources de douleurs physiques? « C’est terrible, il reste encore beaucoup de gens convaincus que les personnes handicapée­s mentales ne souffrent pas ! » s’emporte la direction. cela peut être le cas pour n’importe lequel d’entre nous, on a besoin de l’hôpital, de spécialist­es… Ce n’est pas acceptable que, lorsqu’on adresse une personne à un établissem­ent de soins, il nous la renvoie au bout de quelques heures, impuissant à répondre à la demande. »

Le combat pour un même accès aux soins

Problème de formation du personnel hospitalie­r au handicap handicap. D’y associer la souffrance, la tristesse… Ceux dont le métier est de prendre soin au quotidien de cette population ont la seule conscience de son humanité intacte. « La vie d’une personne atteinte par une maladie psychiatri­que très sévère vaut-elle la peine d’être vécue?» La question – volontaire­ment provocante – les sidère. À juste titre. Une vie est une vie. Et une vie, ça se respecte, quels que soient ses contours. C’est évident. Juste en les regardant être auprès de ceux qui ne réclament finalement que ça de la société : qu’elle les envisage comme des êtres humains à part entière.

Véronique est sous morphine. Mais son comporteme­nt fait penser à ceux qui accompagne­nt chaque seconde de ses jours et ses nuits que ses douleurs ne sont toujours pas domptées. La scène est tragique. Mais détourner le regard, est-ce la bonne réponse ? Toutes les photos qui figurent dans cette page ont fait l’objet d’une autorisati­on de diffusion par les familles, dont l’espoir est de faire bouger les choses. physique et psychique ? La question mérite d’être soulevée. Chacun admet aujourd’hui que l’on est un peu démuni face à ce type de situation. Et c’est un véritable combat que les directeurs d’établissem­ents de type MAS mènent au quotidien. Un combat guidé par un seul objectif : « que les personnes handicapée­s, quel que soit le handicap, aient le même accès aux soins que les autres citoyens ».

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Jean-Baptiste, polyhandic­apé sévère, requiert des soins permanents. « Ma mission première, c’est la relation», sourit Julia. Et ici, on a de vrais échanges avec les résidents…
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Entre Jérémy et le personnel, un vrai dialogue.
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Pierre utilise son smartphone () pour communique­r.

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