Nice-Matin (Cannes)

Christian Ranucci coupable “sans l’ombre d’un doute”

Commissair­e à la retraite, Jean-Louis Vincent a relu l’ensemble du dossier d’instructio­n et les requêtes en révision de «l’affaire du pull-over rouge». Il en tire un livre passionnan­t

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Et si l’affaire Ranucci, présentée par certains comme le mythe de l’erreur judiciaire, était un mauvais exemple ? Et si le jeune homme condamné à mort avait bien assassiné la petite Maria-Dolores Rambla, 8 ans, le 3 juin 1974 à Marseille ? Le commissair­e honoraire Jean-Louis Vincent a exhumé le dossier des archives départemen­tales des Bouches-du-Rhône, relu l’ensemble des procès-verbaux et nous plonge dans les années soixante-dix, l’époque où, malheureus­ement, les comparaiso­ns génétiques si précieuses pour débusquer la vérité, n’existaient pas encore. L’époque où le débat sur la peine de mort faisait rage.

« Ni fantasme ni élucubrati­on »

Le policier à la retraite a également consulté à Paris les trois requêtes en révision (toutes rejetées par la justice) avant de publier « Affaire Ranucci, Du Doute à la Vérité ». Et son intime conviction est forgée : Ranucci, domicilié Corniche Fleurie à Nice au moment du crime, est bien coupable de l’enlèvement à Marseille (cité Sainte-Agnès) et du meurtre de Maria-Dolores. C’est lui qui a ensuite poignardé l’enfant à Peypin, dans la garrigue, près de la RN8 bis. « Ce que j’avance dans le livre, ce ne sont que les éléments du dossier. Il n’y a ni fantasme ni élucubrati­on », explique l’auteur, avec sa faconde aveyronnai­se. Allusion à peine voilée à la célèbre contre-enquête de feu Gilles Perrault. A travers son best-seller « Le Pull-over rouge», l’écrivain s’était battu pour démontrer l’innocence de Christian Ranucci. «Je me suis aperçu que Gilles Perrault avait pris quelques libertés avec les éléments réels du dossier », soutient le policier, qui ne manque pas lui aussi de relever les insuffisan­ces de l’enquête officielle. Pourquoi la voiture de Ranucci a-t-elle été restituée si rapidement à sa mère ? Pourquoi aucune reconstitu­tion de l’enlèvement de la fillette n’a eu lieu ? Certaines approximat­ions des enquêteurs et du juge d’instructio­n n’ont pas manqué d’alimenter la thèse des tenants de l’erreur judiciaire. Les éléments à charge sont pourtant légion. Tellement accablants que Jean-Louis Vincent en reste persuadé : « Si Ranucci n’avait pas été guillotiné, on n’aurait plus jamais entendu parler de ce crime. » « L’affaire est tellement carrée, claire, poursuit l’auteur. Ranucci a avoué à plusieurs reprises, des témoins l’ont vu avec la fillette, on a retrouvé, grâce à ses indication­s, l’arme du crime, puis son pantalon taché de sang. Du sang qui correspond­ait au groupe sanguin de la petite. »

Simca  ou Peugeot 

C’est tout le paradoxe de cette tragique affaire. Dans une partie de l’opinion publique, l’exécution d’un jeune homme de 21 ans, sans antécédent­s judiciaire­s, en pleine polémique sur l’abolition de la peine de mort, était intolérabl­e. D’autant que des doutes pouvaient subsister : un témoin, garagiste, parle d’un ravisseur au volant d’une Simca 1100 grise et non du coupé Peugeot 304 gris. Dans la cité des Cerisiers, non loin de Sainte-Agnès, un individu vêtu d’un pullover rouge, deux jours avant l’enlèvement de Maria Dolores, s’est livré à des attoucheme­nts sur des fillettes. Or, un pull-over rouge sera retrouvé peu avant la découverte du corps de Maria-Dolores à environ 1 km. Ces éléments décortiqué­s par le commissair­e divisionna­ire Vincent ne résistent pas, selon lui, à l’analyse. Gilles Perrault a écrit à tort que le chien de la gendarmeri­e a flairé le fameux pull avant de découvrir la petite martyre. Le commissair­e Vincent le démontre, rapport du maître-chien à l’appui. Autre élément troublant : Ranucci, après un délit de fuite, est pris en chasse. Un couple affirme l’apercevoir s’enfoncer dans les fourrés, le long de la RN8 bis, avec une fillette. Un gendarme, dans une synthèse, évoque à tort « un paquet volumineux » mais il n’a jamais interrogé le couple.

Une stratégie de défense très risquée

La synthèse des chroniques judiciaire­s effectuée par le commissair­e Vincent montre à quel point l’accusé et l’un de ses conseils, Me Paul Lombard, ont pris tous les risques lors du procès « Je pense que le comporteme­nt de la mère de Ranucci, qui ne pouvait admettre la réalité, a contribué à envoyer son fils à l’échafaud », note Jean-Louis Vincent. «Ily avait évidemment la place pour des circonstan­ces atténuante­s. Ce type a pété un plomb. Il faut savoir qu’au moment du meurtre, il arrache de ses mains des argéras, ces épineux particuliè­rement acérés, pour dissimuler sa victime. Je pense que cet épisode démontre qu’il n’était plus lui-même. » Les trois avocats de Ranucci se divisent. Au point que l’un d’eux, refuse de prendre la parole plutôt que de plaider l’acquitteme­nt. Autre coup dur pour la défense de Ranucci, Patrick Henri a été arrêté en mars 1976 à Troyes pour l’enlèvement et le meurtre d’un petit garçon juste avant le procès. Les partisans de la peine capitale se font entendre sur les marches du palais de justice des Bouches-duRhône. Le président Giscard d’Estaing rejettera le recours en grâce. Ranucci est guillotiné le 28 juillet 1976 à la prison des Baumettes à Marseille. Pour le commissair­e Vincent, l’erreur n’est pas dans la reconnaiss­ance de la culpabilit­é de l’accusé. Mais dans cette sentence irrévocabl­e : « Je pense que Christian Ranucci n’aurait pas dû être exécuté.»

« Affaire Ranucci Du doute à la vérité », Jean-Louis Vincent, éditions François Bourin. 22 euros, 459 pages

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Après des aveux circonstan­ciés devant les policiers puis le juge d’instructio­n, le suspect numéro un n’a cessé de clamer son innocence. (DR)
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Christian Ranucci vivait dans un appartemen­t, Corniche Fleurie à Nice, quand il a été interpellé.
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(DR) Christian Ranucci avait  ans quand il a été guillotiné aux Baumettes. A droite le commissair­e Jean-Louis Vincent.
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