Nice-Matin (Cannes)

Jean-Pierre Lamouroux: «Et puis la télévision s’est arrêtée»

- TEXTES : JÉRÉMY TOMATIS ET ROBERT YVON antibes@nicematin.fr PHOTOS : J.-S. G.-A., J. T. ET DR

Avant de couler des jours heureux au bord de la grande bleue, à Antibes, Jean-Pierre Lamouroux a longtemps été journalist­e télé, à Paris. Longtemps? «Il a connu l’ORTF quand même ! » Ah oui, quand même… Forcément, Mai-68 résonne avec insistance chez ce journalist­e qui a couvert aussi des théâtres de guerre. Il se souvient que ce mouvement a permis à l’univers de la petite lucarne de s’émanciper du pouvoir. « Au départ, on était spectateur, en fait, du grand bordel que faisaient les étudiants. Ils manifestai­ent, ils cassaient… personne n’y prêtait attention. On ne connaissai­t pas le chômage. Il y avait du boulot de partout. » Dans ce contexte, pourquoi manifester? Et contre qui? « Les étudiants avaient besoin, comme tous les adolescent­s, de revendique­r des choses. Après, tout le monde (ouvriers

Jean-Pierre et salariés) s’est dit qu’il des affiches fallait en profiter. Et pour nous, qui travaillio­ns à l’ORTF, c’était important de dire que nous étions un pur produit de l’État. » Vous avez loupé un épisode ? « Difficile à imaginer aujourd’hui mais, à l’époque, tout est l’État. L’électricit­é, l’eau, les postes, la télévision… Charles De Gaulle est le président de la République et la télé, c’est la chose de l’État ! En 1960, nous ne sommes qu’une douzaine de technicien­s à France 3. Mais on sentait que c’était un média qui allait devenir fort et les politiques aussi. »

La télévision, un outil médiatique alors verrouillé par le pouvoir Pour mieux comprendre, il faut imaginer qu’en 1968 le gouverneme­nt compte dans ses rangs un ministre de l’informatio­n. « Ils ne voulaient pas que ça leur échappe. » À cette époque, les émissions sont proposées un mois à l’avance. « À Cinq colonnes à la une (1), on faisait beaucoup de reportages à l’étranger. Quand on revenait, une dactylo tapait tous les reportages pour le ministère. Le pouvoir a créé ce bébé mais il savait qu’il pouvait être dangereux. » Jean-Pierre Lamouroux, comme ses confrères comprend vite que ce mouvement peut aussi être un moyen de revendique­r une liberté de la presse télé. Puis plus de son ni d’image. « La télé s’est arrêtée. Il n’y a pas eu d’émissions pendant tout le mois de mai. Les seuls programmes diffusés étaient faits par des militaires et ceux qui n’étaient pas très grévistes. »

Les journalist­es revendique­nt le droit de faire mieux Pendant que le gouverneme­nt verrouille les canaux télé, les manifestat­ions prennent de l’ampleur. Les étudiants jettent des pavés sur des forces de l’ordre mal préparés, mal équipés, et qui reculent. Mais la télé est tenue d’une main de fer par l’État. « On allait faire des images mais ensuite, les militaires nous empêchaien­t de rentrer au siège de l’ORTF, rue Cognacq-Jay. » Grâce aux étudiants, la télévision finit par s’émanciper. L’État n’a d’autre choix que celui de desserrer la visse. La tentative de verrouille­r les images capote notamment grâce à la radio, qui relate chaque jour la réalité de la rue. «On a profité de Mai-68 pour revendique­r le droit de faire mieux. Pour que les politiques n’aient plus la mainmise sur la télé. Vous imaginez un ministre de l’informatio­n aujourd’hui ? Il ne durerait pas une heure… »

1. Programme diffusé du 9 janvier 1959 au 3 mai 1968.

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Pendant toute la durée des émeutes et autres manifestat­ions qui ont fleuri à Paris au mois de mai , aucune image n’a été diffusée à la télévision, ce média étant alors contrôlé par l’Etat et notamment par un ministre dédié à l’informatio­n.
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conservé Lamouroux a de l’époque.

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