Eclairage aux becs-de-gaz : la crainte des habitants
Retrouvez aujourd’hui, comme tous les samedis, la rubrique de Corinne JulienBottoni, historienne et guide conférencière depuis ans à Cannes, Grasse et Fréjus...
Suite à un arrêté préfectoral de 1866, l’ingénieur Brodin-Collet est autorisé à construire une usine à gaz, sur le territoire communal. Au printemps suivant, débute l’impressionnant chantier du quartier des Moulins, à proximité de l’ancienne route de Châteauneuf. L’objectif est alors de desservir tous les quartiers de la ville, dans un délai d’un an. Le 21 juin 1868, l’inauguration du site a lieu, précédée d’une bénédiction. Pour l’occasion, une grande fête est organisée sur l’esplanade du Cours. Une illumination féérique qui représente un aigle, deux soleils et les initiales de l’empereur et de l’impératrice, s’élève dans la nuit étoilée. De puissants jets de gaz embrasent la place de leurs flammes éblouissantes. Un bal et diverses attractions se déroulent ensuite durant une grande partie de la nuit. Le solstice d’été prend cette année-là, une dimension particulière. Une fête de la lumière dont les citadins se souviendront longtemps. Dans les rues, n’existe alors qu’une cinquantaine de lampadaires à huile. Ce nouveau mode d’éclairage suscite un grand intérêt.
L’allumeur de becs-de-gaz
Le soir venu, les Grassois croisent l’allumeur de becs-de-gaz qui parcourt le centre-ville. Muni d’une grande perche et d’un briquet, il ouvre les robinets et enflamme le gaz. Le matin, dès potron-minet, il effectue une nouvelle tournée pour les refermer après les avoir tous contrôlés. A l’époque, les tuyaux courent le long des façades des maisons. Ces canalisations font d’ailleurs la fierté des habitants. Chaque demeure alimentée par la compagnie Brodin-Collet affiche fièrement au-dessus de son entrée une plaque bleue où est inscrit en lettres blanches : «Gaz à tous les étages» ! Si quelques citadins ont recours au gaz pour éclairer leur intérieur, d’aucuns restent fidèles à leur traditionnelle lampe à pétrole. Celle-ci demeure l’apanage de la cuisine ou du salon. Dans les autres pièces, même si ce n’est pas très pratique, on se déplace à la bougie. Les plus pauvres utilisent des chandelles de suif qui dégagent une malodorante fumée noirâtre et des lampes à huile ou «calen». Il faudra attendre des décennies pour que le gaz de Brodin-Collet pénètre dans tous les foyers grassois. Le gaz est certes très commode mais il fait éclater les pignates de Vallauris, ces récipients en terre cuite, alors très utilisés et dans lesquels les ménagères font mijoter les repas. Le temps est alors aux repas longtemps mitonnés, préparés dans de grands chaudrons. Les cuisinières grassoises restent fidèles à leur potager où la braise se consume lentement. Rien de tel pour concocter une bonne daube, un sauté de veau ou la traditionnelle soupe au pistou !