F comme Fake
Il y a mille et une raisons d’être contre une loi sur les fake news. Pardon, sur les « manipulations de l’information», puisque tel est l’intitulé retenu par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a entrepris l’examen de cette réforme, voulue et annoncée par Emmanuel Macron. On dira que la diffusion de fausses nouvelles est déjà interdite et réprimée par la loi sur la presse. Ce qui vrai. À ceci près que sa rédaction rend ce texte peu utilisable et très peu usité. Que les pouvoirs sont de grands menteurs, et bien mal placés pour exiger des autres ce respect de la vérité qu’ils ne s’imposent pas à eux-mêmes. Que rien n’est plus dangereux pour la liberté d’opinion et d’expression qu’un régime qui prétendrait dire « la » vérité. C’est-à-dire « sa » vérité. Que dès qu’il y a interdiction de diffuser, la censure n’est jamais très loin. Que la démocratie suppose la confrontation de points de vue contradictoires, et que la vérité des uns est souvent la fausseté des autres. Qu’il n’appartient pas à un juge d’en décider. Souvenons-nous du procès de Galilée. En somme, que la vérité et son contraire, le mensonge, sont des réalités fluctuantes et incertaines. Voulant cadrer le débat, la commission des Lois de l’Assemblée a imprudemment tenté de définir une information fausse comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Avec un costume taillé aussi large, les juges, en période électorale, vont avoir du boulot… Et pourtant, contre les libertariens et autres procureurs d’une loi présentée comme liberticide, on peut soutenir que nos démocraties ont besoin d’une loi pour protéger la sincérité du débat public. Car si le mensonge est le propre de l’homme, et l’art de tromper aussi anciennes que l’art du verbe, le phénomène connaît aujourd’hui un changement de degré qui est un changement de nature, avec l’explosion d’Internet : , milliards d’internautes, qui sont autant d’émetteurs d’information potentiels, via les réseaux sociaux. Subsidiairement, avec la prolifération des médias « alternatifs » qui, surfant sur la perte de crédit des médias traditionnels, croient pouvoir singer leur métier en s’exonérant de toute éthique journalistique comme de toute contrainte légale. Jadis, le mensonge se propageait à la vitesse du cheval. Aujourd’hui à la vitesse de la lumière, souvent sous le couvert de l’anonymat, et avec la complicité involontaire de gens « à qui on ne la fait pas », ceux qui, croyant révéler de grands secrets, ne font que relayer les intox et les manigances des officines cachées. Quand ce ne sont pas des entreprises de déstabilisation menées par des puissances étrangères. Donc une loi, oui, faute de mieux, pour tenter de réduire le flux des fake news .Une loi prudente dans sa rédaction ; ferme dans son application. Mais en gardant à l’esprit qu’aucun dispositif légal, jamais, n’éradiquera totalement le phénomène. Et que la seule façon de le rendre plus étanche serait que tous les acteurs, États et géants du Web, acceptent de se doter de règles communes – et de les respecter ! On en est très, très loin.
« Ceux qui, croyant révéler de grands secrets, ne font que relayer les intox et les manigances des officines cachées. »