Madeleine Pfau et la rue Rève-vieille
Retrouvez cette rubrique qui donne la parole à un habitant de la cité des parfums ou du pays grassois. Aujourd’hui : Souvenirs et anecdotes de Mado, infirmière de la Croix Rouge.
Dans les années 1950, nous habitions au n° 3 de la rue de la Rève-vieille, à proximité de la place Roustan. Mes quatre enfants et moi, logions dans un appartement de deux pièces, en face de la belle maison à arcades qui accueillit longtemps, au rez-dechaussée, une blanchisserie », raconte Madeleine Pfau. Née le 9 mai 1921, dans les Côtesd’Armor, Madeleine a connu un parcours éclectique, dans le domaine social, en tant qu’infirmière de la Croix Rouge, une activité commencée lors du second conflit mondial. Durant toute sa vie, cette autodidacte s’est dédiée au service des plus démunis. Retraitée depuis de longues années déjà, elle vit aujourd’hui à la Bastide des Vignes, dans un appartement, en totale indépendance. Mado que tout le monde appelle ainsi, se révèle intarissable, lorsqu’elle revisite sa jeunesse, au coeur du centre ancien.
L’oignon volant
« La rue de la Rève était alors très vivante. L’animation qui y régnait ne s’arrêtait que le soir. Tout le monde se connaissait. Entre voisins, on s’entraidait. Je me souviens du jour où la locataire d’en face avait oublié d’acheter des oignons. Je lui en ai lancé un par la fenêtre en visant bien la sienne. La liliacée a fini son vol sur le matelas du berceau », raconte Madeleine en souriant. La jeune femme qui n’a cessé d’oeuvrer pour la Croix-Rouge, se rend au domicile de jeunes mères de famille pour leur apprendre à bien s’occuper de leur nouveau né. L’été, elle accompagne les enfants dans des colonies de vacances. Les siens sont aussi du voyage. « Je travaillais du 1er janvier au 31 décembre, sans jamais m’arrêter. Je me souviens encore de ce matin de février. J’étais sur le point d’accoucher. J’ai appelé une voisine qui m’a accompagnée jusqu’à l’arrêt du bus. Il était cinq heures du matin. Nous sommes arrivées au Petit-Paris où Jean-Claude est né. » En ce temps-là, le marché se déroule plusieurs fois par semaine. C’est l’occasion pour Mado de profiter de cette animation conviviale. « Je revois tous ces commerçants où nous effectuions nos courses quotidiennes. On achetait le pain à la boulangerie Basso, sur la place Roustan où j’apportais aussi mon plat de petits farcis pour les cuire dans son four. » D’autres magasins existent au coeur de ce périmètre restreint : la cordonnerie Roattino, le photographe Molto, Gasq, le marchand de meubles qui allait livrer en triporteur dans l’arrière-pays grassois, la tricotterie de Madame Lorca très fréquentée par les ménagères qui en profitaient pour papoter entre elles.
La lessive au lavoir Gambetta
Il faut aussi penser à faire sa lessive. À l’époque point de lavelinge. L’eau courante est rare et parfois, la citerne aménagée sous le toit est vide. La jeune femme se dirige vers le lavoir Gambetta qui accueille alors de nombreuses lavandières. Mais une fois le linge blanchi, il s’agit de le faire sécher. « Il était alors interdit de suspendre les vêtements sur la façade de l’immeuble, sous peine d’être verbalisé. Aussi, c’était la nuit que l’on tendait un ou deux fils qui disparaissaient dès le lever du jour. À l’époque, chaque foyer n’avait pas la télévision. Les rares familles qui possédaient un téléviseur en faisaient profiter entourage et voisins. Mes enfants appréciaient particulièrement la piste aux étoiles, animée par Roger Lanzac et Jacqueline de Monsigny. » Nourrir sa petite famille n’est pas chose aisée. Le décès soudain de son époux, a contraint Madeleine à tout assurer. La semaine, ses enfants déjeunent à la cantine de l’école Gambetta. « Le jeudi était le seul jour où l’on mangeait de la viande. Les petits n’avaient d’école et je le leur préparais un steak haché parce que c’était moins cher. » Aujourd’hui Madeleine reste toujours très occupée. Avec ses amies de la résidence, elle joue aux cartes et au scrabble. Elle consacre aussi beaucoup de temps au dessin. Elle va faire ses courses à pied, au petit Casino de Saint-Jacques. À quatre-vingt-dix-sept ans, Mado n’a perdu ni son élégance ni son entrain. Sa vie pourrait faire l’objet d’un livre, tant elle est riche d’événements et d’anecdotes. Une rencontre avec une bien belle personne au sens propre comme au figuré, dont je me souviendrai longtemps.