L’Aquarius, révélateur des failles européennes
Le détournement du navire bondé de migrants vers l’Espagne a remis en lumière l’incapacité de l’Europe à se montrer cohérente et solidaire. Un sujet d’affrontement sur la Côte d’Azur
Deux France. Deux Europe aussi. Et c’est bien le problème. Les pérégrinations forcées de l’Aquarius, dernier avatar de l’impuissance européenne à traiter collectivement le défi migratoire, opposent une nouvelle fois deux sensibilités irréconciliables. Grossièrement catalogués, les humanistes et les réalistes. De part et d’autre, le ton est radical. Les uns dénoncent le coup de force de l’Italie autant que l’indifférence coupable de la France. Les autres pointent le risque d’une déferlante qui ne fera le bonheur de personne. Le débat trouve un écho épidermique dans les Alpes-Maritimes, où la question migratoire est devenue une sévère ligne de fracture, incarnée par le choc de deux personnalités aux antipodes, Éric Ciotti et Cédric Herrou. En dépit de velléités solidaires qui ont vite tourné à la débandade, l’Union européenne laisse depuis des années l’Italie et la Grèce affronter seules l’afflux migratoire. Une indifférence qui a largement contribué à jeter les Italiens dans les bras des Cinque Stelle et de la Lega. Des Insoumis au PS, les appels à une solidarité accrue se sont cristallisés sur la Côte d’Azur dans le sillage de l’agriculteur Cédric Herrou, qui a fait des migrants la croisade de sa vie. Lorsque Jacques Attali a suggéré mardi d’accueillir l’Aquarius à Nice ou Marseille, le député LR niçois Éric Ciottti a en revanche bondi, appelant les autorités à la plus grande fermeté. « Aucun port français ne doit accueillir l’Aquarius. Veut-on que Nice devienne Lampedusa ? »
« Crainte grotesque »
« Crainte grotesque et inenvisageable, a répliqué hier Christian Estrosi. Faire un parallèle entre Nice et Lampedusa est une comparaison malsaine. Pas un Niçois ne peut croire à une sottise pareille ! Il ne faut pas agiter des peurs à des fins politiciennes. » Philippe Vardon, conseiller régional niçois et cadre du Rassemblement national, a de son côté goûté « l’attitude courageuse du ministre de l’Intérieur italien. Les ONG pro-migrants, qui agissent en dehors de tout cadre et sous couvert d’humanité, ne font en réalité que renforcer le business sordide des mafias de passeurs. Pour en finir avec l’émigration massive, il faut aider les pays d’Afrique et du pourtour méditerranéen à se stabiliser, tout en étant exigeant quant à leur maîtrise des départs et leur acceptation des retours. Faute de quoi, notre seule solution reste bien pour le moment de fermer les ports et les portes que sont nos frontières nationales. » À gauche, on pointe à l’inverse que la France n’a pas été jusqu’ici au rendez-vous de ses engagements. Au 31 mai, elle n’avait, de fait, accueilli que 5029 personnes dans le cadre du programme de relocalisation initié en 2015 par la Commission européenne, soit à peine un quart de l’objectif qui lui avait été assigné (19 714).
Crise politique
De façon paradoxale, cette crise survient à un moment où la vague migratoire est devenue moins violente. Les arrivées sont revenues à leur niveau d’avant 2015, soit une baisse très sensible avoisinant les 80 %. La nouvelle donne italienne n’en force pas moins l’Europe, sous peine de voler en éclats, à mettre en oeuvre des mécanismes effectifs de régulation pour soulager les pays en première ligne. Avant même le sommet européen programmé le 28 juin, la rencontre prévue demain entre Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, livrera une première indication, après la tragicomédie d’hier qui a vu les Italiens nous renvoyer à nos atermoiements.