Nice-Matin (Cannes)

Marc Levy: «Le Mondial a un goût des jeux de Berlin»

- PROPOS RECUEILLIS PAR V. P. ET PH. C.

Jamais donneur de leçons, Marc Levy se présente en témoin de son temps. Passionné d’actualité, l’écrivain consacre chaque jour 1 h 30 à la lecture de la presse. Rédacteur en chef d’un jour, hier, à Var-matin, il a bien voulu commenter l’actualité. Avec fermeté et sans langue de bois ! L’écrivain s’indigne du sort réservé aux réfugiés de l’Aquarius. Il évoque « la non-assistance à personnes en danger », et en appelle à la Cour européenne des Droits de l’Homme.

L’actualité du jour, c’est la Coupe du monde de football…

Tous mes amis sont fans de foot, mais je le dis d’emblée : je n’aime pas le sport. Je ne m’y intéresse pas et je ne le pratique pas. Ce qui me pose problème,

‘‘ en revanche, dans cette Coupe du monde, c’est qu’on va jouer en Russie, devant Poutine. Devant un homme qui a contribué au massacre de population­s civiles et de milliers d’enfants, à l’utilisatio­n de gaz et à la déstabilis­ation de l’Europe ! Un homme qui nous attaque frontaleme­nt avec une intrusion massive dans nos processus électoraux… On sait que la Russie est profondéme­nt responsabl­e de la crise des migrants. On sait que la Russie vient de mettre en place l’autocratie aux États-Unis et, nous, on va jouer au ballon devant Poutine. Pour moi, cela à un goût des Jeux de Berlin [en , après la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne, Ndlr]. Alors que nous sommes à quelques mois d’un moment décisif dans l’histoire du monde !

Lequel ?

Au mois d’octobre, aux États-Unis, si les élections du midterm confirment l’autocratie de Trump, nous aurons un nouvel ordre mondial. Celui des dictatures russe, chinoise et de l’autocratie américaine. Il se passe aux USA des choses épouvantab­les sous l’influence de Poutine.

Les Américains ne laisseront pas faire ça!

Personne ne peut dire ce que pensent vraiment les Français ou les Américains. Il faut être humble. De plus, qui aurait dit à  heures des élections que Trump allait gagner ? Tout est possible. Il faut bien comprendre que le Parti républicai­n n’est plus un parti : c’est devenu un régime dans lequel règne la terreur.

Quel regard portez-vous sur la rencontre Trump - Kim Jung-un ? Trump dit qu’il a sauvé « le monde d’une guerre nucléaire »...

Je ne comprends pas que les journaux puissent imprimer une telle phrase ! Ce n’est bien sûr que de la com’. L’accord n’existe pas. Et puis, celui qui jouait autour de la boîte d’allumettes, c’est bien Trump. Il a légitimisé un petit dictateur sanguinair­e

d’un petit pays.

Que pensez-vous de la position de la France face au drame de l’Aquarius ?

Les réfugiés sont arrivés chez nous de la même façon que nous, nous avons fait l’exode en , lorsque l’armée allemande bombardait nos maisons et nos routes. Nous aussi nous avons été des réfugiés. Sur ce bateau, il y a des hommes, des femmes enceintes, des enfants et des bébés. Si on pense qu’il faut d’abord parler politique avant qu’ils se noient, je pense qu’on a perdu de son humanité. Je me souviens d’une phrase de mon père, rescapé d’un train de déportatio­n : « Ce n’est pas d’être un homme qui est difficile, c’est de le rester toute sa vie. Il suffit de quelques secondes d’inattentio­n pour perdre une parcelle de l’humanité qui nous a été confiée. »

Vous pensez que le président Macron a été « inattentif» et qu’il a « perdu une part de son humanité » ?

Oui, je le pense. Je n’en ai aucun doute. J’ai envie de dire à ce gouverneme­nt : « Mais où on est ? » Je m’interroge sur la probité de ce ministre de l’Intérieur, sans porter de jugement, car je vis très loin d’ici. Mais la France hésite avant de porter secours ? La patrie des Droits de l’homme ? Un homme qui a le pouvoir de porter secours à des personnes en danger et qui ne le fait pas devrait pouvoir être traduit devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. La force d’une démocratie est d’agir. C’est d’imposer ce qui est humain et légitime. Einstein disait : « Ce n’est pas le mal qui avance, ce sont les gens de bien qui reculent. » Pourquoi, en tant que citoyens, aurions-nous des obligation­s dont les gouvernant­s seraient exonérés ? Si vous ou moi ne portons pas secours à une personne en danger, c’est un crime ! Si un gouvernant qui a le pouvoir de faire quelque chose ne le fait pas, ce n’est pas un crime ? Je voudrais voir ce débat devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Je pense qui si le Premier ministre italien savait qu’il risquait d’être traduit devant la Cour européenne et d’être condamné pénalement, finalement, peut-être qu’il aurait agi autrement.

Quel regard portez-vous sur ce président jeune qu’est Emmanuel Macron ?

Aucun. J’ai de la légitimité à parler des questions humanitair­es mais cela s’arrête là. La realpoliti­k ne m’intéresse pas du tout. Je n’aurais pas le manque d’humilité de porter un jugement sur un homme politique. Tout le monde donne son avis sur tout. Un sujet humanitair­e, oui, car j’en ai fait une grande partie de ma vie, mais le reste, non. Gouverner, c’est difficile. Cela demande beaucoup de travail, beaucoup d’engagement et je n’ai pas la compétence de juger une action globale. Mais je suis passionné d’actualité.

Sur le « pognon de dingue qu’on dépense pour les minimas sociaux » ?

Il faudrait connaître déjà la part du PIB national détenu par les  plus grosses fortunes françaises. Si on veut nous faire croire que ce sont les minimas sociaux qui sont la source des problèmes économique­s, c’est penser cela qui est un vrai problème économique. Le revenu de l’argent est deux fois moins taxé que celui du travail. Ça, c’est un problème.

Nous aussi nous avons été des réfugiés. ”

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(Photo Patrick Blanchard) Marc Levy était hier après-midi au coeur de la rédaction de Var-matin à Toulon.

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