Nice-Matin (Cannes)

Amap, fleurs comestible­s, épicerie vrac... : mon carnet de bord

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a fait déjà deux semaines que je n’ai pas mis les pieds dans un supermarch­é et je vais très bien, merci. Je ne vais pas vous mentir, j’ai vidé quelques conserves. Mais j’ai fait le marché de la Libé, deux fois. Mes placards sont vides, je n’ai plus que du « frais ». J’ai rendu visite à 21 Paysans. Le local a ouvert au mois de juin dernier, rue Valperga à Nice. Au début, 21 Paysans ramassait des légumes chez plusieurs maraîchers pour composer des paniers bio à la demande. Mais quelques mois plus tard, le commerce est devenu épicerie – aussi. Chaque jour, il propose en plus un service de restaurati­on à midi. « L’idée, c’est d’éviter au maximum les pertes», explique le responsabl­e. Les légumes qui sont sur le point de s’abîmer sont cuisinés en premier. Je lui demande quelques conseils pour élaborer mes menus, il me répond que le chou est « sous-coté ». « Chou cru ou chou cuit, c’est un légume qui passe partout et qui est assez neutre. » Il ajoute: «Comme le céleri-rave, qui n’est pas très attirant visuelleme­nt. » Jeudi, 18 heures. Je reçois un message d’Amélie, ma coach : « Coucou, tu seras bien à l’Amap ce soir à 18 h 30 ? » La semaine précédente, j’avais reçu un coup de fil de José. José est le référent de l’Amap (Associatio­n pour le maintien d’une agricultur­e paysanne) Lou Balico, c’est la plus ancienne à Nice. Amélie lui a parlé de mon « mois sans supermarch­é», José a accepté que je ne prenne que deux paniers. J’ai de la chance, car ce n’est pas du tout la procédure.

 personnes sur liste d’attente

À Nice, le marché des Amap fonctionne à flux tendu, et pour Lou Balico, la liste d’attente compte une vingtaine de personnes. « On limite volontaire­ment le nombre d’adhérents à 70 parce que sinon, ça devient industriel », justifie José. Tous les jeudis soir, une petite queue se forme devant la gare des Chemins de fer de Provence. Il y a trois tables avec des tréteaux. Sur la première, des boîtes d’oeufs sont empilées. Sur la seconde, des fromages de chèvre, et sur la troisième, les paniers de légumes. Surprise : le visage de la maraîchère derrière les grilles m’est familier. Nous nous sommes rencontrée­s il y a deux ans au Jardin des Asclépiade­s à Vence, lorsque j’essayais de manger « local ». À l’époque, Isabelle venait de lancer son service de vente directe à la ferme, une cinquantai­ne de paniers par semaine. Cela faisait deux ans qu’elle et sa famille étaient rentrés du Québec. Ils y ont passé dix ans. Avant, ils étaient horticulte­urs, sur la même parcelle. « Quand on est rentré, tout avait été squatté, c’était en friche. On a fait faire une étude de marché, et on a décidé de reprendre, et d’y faire pousser des légumes », raconte Isabelle. Le label bio leur est accordé très rapidement, et depuis, ils cultivent d’arrache-pied leur jardin, un hectare en tout, qui vient de recevoir la visite d’un nouveau certificat­eur, cette fois en « biodynamie ». Les paniers sont ramassés le matin, dès 6 heures. Mère et fille lavent les légumes, conditionn­ent et pèsent. Elles livrent deux Amap à Nice, qui représente­nt 90 % de leurs débouchés. « Lorsqu’on leur a demandé si elles pouvaient produire plus, elles ont répondu “non” , et ça nous a rassurés », dit encore José, qui tient beaucoup à préserver « l’état d’esprit de l’Amap: on n’est pas qu’un service de paniers bio ; à l’origine, on est une associatio­n qui se bat pour sauver les maraîchers bio en train de disparaîtr­e. » Aujourd’hui, ils sont 263 dans les Alpes-Maritimes, et leur nombre tend à augmenter grâce à de nouvelles installati­ons subvention­nées. Le départemen­t

‘‘ compte 29 Amap ; la première a été créée à Valbonne en 2001. En presque 20 ans, le public a-t-il changé ? José, qui tient chaque année un stand d’informatio­n au Festival du livre de Mouans-Sartoux, note une évolution : « Avant, les gens venaient et disaient : ‘‘C’est quoi une Amap ?’’ Depuis deux ans, on me demande ‘‘Où est l’Amap la plus proche de chez moi ?’’. »

Une clientèle moins militante

« Un origan-piment, un origan-cumin et un nature. » Catherine emballe les fromages à la chaîne, et les « amapiens » signent les uns après les autres ce qui ressemble à une feuille d’émargement. Un panier coûte 20 euros et son contenu change chaque semaine. Aucun argent ne transite sur place, tout a été réglé à l’avance pour une période de 6 mois minimum, les chèques sont encaissés au fur et à mesure. Catherine est installée à Gars, tout au fond de la vallée de l’Esteron. Dans une précédente vie, elle était journalist­e à Monaco. Une fois par semaine, depuis 10 ans, elle parcourt 84 km jusqu’à la gare des Chemins de fer de Provence pour livrer ses fromages. Elle connaît bien le noyau dur « des militants écolos qui soutiennen­t vraiment l’agricultur­e ». Elle a vu arriver les nouveaux, aussi, qui « tournent plus » et qui lui semblent davantage préoccupés par leur hygiène de vie que par la survie de notre planète. Elle s’interrompt et hausse les épaules, comme pour dire : « Mais enfin, peut-on vraiment les blâmer ? » Elle se souvient avoir toujours vu sa mère cuisiner des légumes, en stocker une partie sur le balcon, en congeler une autre. « C’est vrai que c’est une organisati­on », fait une bénévole. Elle ajoute : «C’est pour ça que certains quittent l’Amap, souvent après une séparation, ou des enfants qui partent. » À côté d’elle, une dame secoue la tête, elle n’arrive pas à comprendre que des gens puissent manger des tomates en hiver. Je n’ose pas lui avouer que j’ai appris la semaine dernière que la courgette était un légume de printemps. Elle consent finalement à leur trouver si ce n’est une excuse, au moins un début d’explicatio­n : « Peut-être lorsqu’ils n’ont pas de jardin et qu’ils sont coupés de la nature depuis très longtemps ? » Dans la file, je croise Audrey, 35 ans, qui habite Nice nord et travaille à Monaco pour une société de plateforme­s pétrolière­s. Elle vient d’adhérer à l’Amap, et me dit en souriant vouloir d’abord changer sa manière de s’alimenter, et peut-être que «le reste» suivra – elle parle de son job. Elle connaît aussi Amélie, parce qu’elle a participé à un « café astuce » zéro déchet il y a quelques semaines.

« Ce n’est pas de la chance, c’est un choix»

Elle raconte : « À la base, je voulais nettoyer des plages et je ne trouvais aucun organisme. J’ai contacté le collectif Zéro déchet, ils m’ont dit qu’ils ne nettoyaien­t pas de plages, mais le principe de réduire les déchets, ça m’intéressai­t. » Elle a aussi regardé « plein d’émissions » et a été séduite par la bible de la conso alternativ­e, La Famille (presque) zéro déchet (Thierry Souccar). Depuis, Audrey essaye « d’aller moins dans les grandes surfaces » et de fabriquer elle-même ses produits ménagers. Il est 11 heures, le lendemain, quand j’arrive devant «la petite église en face de Confo-

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