Touche après touche
Directeur du Conservatoire de musique et d’art dramatique, il joue l’harmonie dans son ensemble
Lyre entre les lignes. Mécanique harmonique. Cordes et âme. La musique ? Ce n’est pas sa vie, non. C’est davantage pour Noël Bianchini. C’est l’envoûtement dévorant, la fascination élémentaire, la cavale enveloppée. Natif de Marseille, il demeure fidèle à ses racines plantées dans une île qui n’est que beauté. Son village? Un coin de paradis corse qu’il rejoint avec gourmandise. Un nid douillet qu’il compte bien préserver: «Cet été, avec mon épouse, nous allons y jouer afin de récolter des dons pour la restauration de l’église. » Cette petite phrase en dit plus long qu’elle en a l’air. Parce qu’il y a un instinct qui prend le pas sur les autres chez l’instrumentiste. Celui de sauvegarde. Celui du respect de ce qui a été créé. Directeur du Conservatoire de musique et d’art dramatique d’Antibes depuis 18 ans – y enseignant depuis 32 printemps –, il veille à préserver le sens des termes. «Conservatoire: nous sommes là pour conserver les oeuvres écrites, ce qui a été créé, la technique», précise-t-il en alertant : « On trouve tout sur Internet, oui. Mais les partitions peuvent comporter des fautes ! Nous devons aussi transmettre ces messages : l’importance de se fier aux éditions originales. » Se sentant responsable d’un patrimoine qui se caresse du tympan, il passe portamento d’un rôle à l’autre. Avec mille élèves et quarante-six professeurs, il se retrouve au c(h)oeur de l’antre de l’expression et de la rigueur. Si la précision demeure reine en ces lieux, c’est avant tout la passion qui détrône toute autre considération. Cet élan irrépressible qui pousse à l’abnégation, au sacrifice, à l’humilité. Grandissant au milieu des arpèges maternels, c’est tout naturellement qu’il met les mains au clavier. À 5 ans d’abord, à 10 ans pour de vrai, à 14 ans sérieusement. Réalisant ses gammes au conservatoire, l’adolescent développe vélocement un attrait distinct pour l’enseignement. « J’aime aider, trouver des solutions pour accompagner un enfant. » Rendre possible l’éclosion du talent. Travailler une première floraison de patience et précision. Génération après génération : « Ici, on voit les élèves grandir, on les suit. C’est fort. La plus belle récompense c’est lorsqu’euxmêmes viennent inscrire leurs enfants. » Valse des quatre saisons. « Une vie ne suffit pas pour aborder le colossal répertoire du piano. » Et c’est bien cela qui lui plaît, cette démesure dans la délicatesse. Écoutez ses vibrations, tendez l’oreille à ses modulations. Incandescence intérieure. Y’a du langage amoureux là-dedans : « C’est vrai, je suis amoureux de mon métier. Je n’ai jamais eu l’impression de travailler. » Chaque matin pour vivre un peu plus fort. Chaque matin pour poursuivre un parcours dont il « ne regrette rien ». Et sûrement pas les rencontres : « J’ai eu beaucoup de chance de croiser des personnes exceptionnelles. » Saveur du concret. Essences d’embrun. Chaque morceau comme « un petit bijou », à faire briller, à chouchouter, à magnifier. Un bon musicien ? Il le définit comme « quelqu’un qui fait de belles choses, qui a une idée par seconde lorsqu’il joue. Lorsque vous l’écoutez, vous êtes emporté, surpris. » Et pour arriver là, labeur, efforts, ardeur. « On prête nos oreilles aux élèves. C’est cela qu’on leur apprend : à entendre, à être lucide. À déceler les subtilités, la justesse. » Un éventail de sonorités ne demandant qu’à se laisser trahir par leur majesté. Sensible aux douceurs de l’esthétisme, le pianiste joue également l’harmonie lorsqu’il quitte les dièses, croches et autres hampes. « J’aime les fleurs, la décoration, la peinture…» Créer pour expirer. Imaginer pour inspirer. Serait-ce la quête inépuisable de sens ? Ou l’incompressible besoin d’embellir la réalité ? Non, mieux encore : l’avide appétit de partager? Oui, c’est sûrement ça : cette faim qui nourrit, cette soif qui enivre corps et esprits.