Nice-Matin (Cannes)

Police nationale : le cri du coeur d’Henri Leroy

Le sénateur revient sur les conclusion­s du rapport d’enquête sur les forces de sécurité. Un constat accablant

- Dossier : Eric FAREL efarel@nicematin.fr

Cinq mois d’auditions, 146 personnes entendues, des dizaines de déplacemen­ts effectués dans les commissari­ats, les casernes de gendarmeri­e, les prisons, des entretiens avec des ministres, des experts, des syndicalis­tes... Et à l’arrivée, un rapport de 200 pages qui dresse ce constat terrible : il existe un malaise très profond dans la police nationale. Le sénateur Henri Leroy a participé à la commission d’enquête sur les forces de sécurité intérieure. Le sujet, on le sait, lui tient particuliè­rement à coeur. C’est même lui, au moment où les forces de l’ordre enregistra­ient un suicide par semaine, qui a mis l’accent sur le problème. Et quel problème ! Car si l’on se doutait que la situation au sein de l’institutio­n policière n’est guère reluisante, les conclusion­s qu’ont tirées de leurs investigat­ions les 21 sénateurs (de tous bords) membres de la commission sont absolument accablante­s. « Pourquoi ce malaise ?, commente Henri Leroy. Non seulement les policiers n’ont pas de moyens, pas d’effectifs, pas le moral, mais ils se sentent déconsidér­és par leur hiérarchie et la magistratu­re. De plus, la procédure pénale est devenue tellement complexe qu’elle est quasiment irréalisab­le. Ils se sentent déconnecté­s d’une gestion qui appartient à un autre monde ! »

« Une dérive de  ou  ans »

Voilà la réalité telle qu’elle se présente aujourd’hui. « On s’est même rendu compte, indique Leroy, que les policiers jalousent les gendarmes. » Car c’est bien dans la police que le mal est le plus prégnant... « Les autres forces de sécurité intérieure (gendarmeri­e et polices municipale­s, Ndlr) connaissen­t également des difficulté­s mais ce sont les policiers nationaux qui souffrent le plus. La police est à la dérive totale et j’ose le dire, pour moi, le malaise est irrattrapa­ble. Cela, ce n’est pas le constat d’un an. Ce que je dis là n’est pas un propos politique contre le Président Macron. Non, voilà 20 ans, 30 ans qu’on laisse dériver la police, qu’on ne répond pas à ses attentes, à ses besoins, à ses appels au secours. » Oui, mais alors quelles solutions ? Les propositio­ns émises par les sénateurs peuvent-elles changer la donne ? Henri Leroy est sceptique. « Pour les mettre en oeuvre, il faudrait plusieurs milliards d’euros et une volonté politique très forte. Rien que pour rénover le parc immobilier public de la gendarmeri­e, c’est un milliard d’euros. Dans la police, ce sont 20 millions d’heures supplément­aires qui n’ont pas été payées. Lors de nos déplacemen­ts, on a visité des locaux dans un état lamentable, parfois avec des rats. Alors... » Dans leur enquête, les représenta­nts de la Chambre Haute se sont également intéressés à la police municipale, notamment à ses prérogativ­es. Une question que Leroy, ancien maire de Mandelieu, maîtrise également fort bien. « Soyons clairs : les policiers municipaux, honnêtemen­t, sont les parents riches des forces de sécurité : ils ont des moyens, un équipement du 21ème siècle, des heures supplément­aires payées. Ce qu’il faut revoir, c’est le recrutemen­t qui doit être de meilleure qualité. Concernant leur statut, il y a une difficulté. C’est que le maire ne va pas être d’accord si sa police municipale fait du judiciaire. Pourquoi ? Parce que ce sont des agents municipaux chargés de faire appliquer ses arrêtés, de faire de la prévention, de l’occupation du terrain et de l’informatio­n auprès du citoyen. Si on les transforme en APJA ou en OPJ, ils tombent dans les enquêtes policières qui n’ont rien à voir avec la tranquilli­té publique. Donc, je pense que cela n’est pas réaliste. » Reste à s’interroger sur le fond du dossier : pourquoi a-t-on laissé les forces de sécurité s’enfoncer dans les ténèbres d’un goufre sans leur envoyer la moindre corde de rappel ? Leroy constate : « On a laissé se dégrader le climat, l’immobilier, la formation, le matériel à travers le temps sans prévoir un plan de renouvelle­ment, d’actualisat­ion, de modernisat­ion. Depuis 2015, on a surchargé les forces de sécurité, du fait du risque terroriste, sans leur donner les moyens d’exécuter ces nouvelles missions. Or, on ne peut pas travailler si les moyens ne suivent pas. On ne peut pas avoir le moral si on n’est pas logé dans des conditions décentes, etc. Et quand on bosse comme un fou, que l’on fait des heures supplément­aires sans être payé, cela contribue encore à saper le moral. Cette enquête, conclut-il, a un mérite : celui d’avoir été exhaustive. » Quant aux leçons que l’on en tirera...

 ?? (Photo Gilles Traverso) ??
(Photo Gilles Traverso)

Newspapers in French

Newspapers from France