Le jour où... Notre-Dame de la Garde est devenue Reine de la Paix
Aujourd’hui, retour en juin 1939, avec le couronnement de la Vierge de la Garoupe
Tous les lundis, nous vous proposons une série de récits – parfois romancés – revenant sur des épisodes qui ont marqué le passé dans la cité des Remparts. Sur ces fameux jours où...
Quelle couronne lourde à porter que celle de Reine de la Paix ! Sauf quand on est, déjà, la Reine du Ciel et qu’on s’appelle Marie… En cette année 1938, la France a bien besoin d’un miracle. Les menaces de guerre sont sur toutes les lèvres. Un autre conflit planétaire vingt ans après la fin de la « Der des ders » ? Après la « Grande Boucherie » ? Impossible! On ne veut pas y croire. D’ailleurs, les 29 et 30 septembre, ouf, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Italie ont signé les «accords de Munich». Les paraphes sont encore tout frais: Neville Chamberlain, Édouard Daladier, Adolf Hitler et Benito Mussolini. C’est signé. C’est écrit. Nous, bien à l’abri en 2018, on connaît la suite de l’Histoire : soixante millions de morts. Mais, en 1938, on espère toujours. Et, on prie. Les Antibois, tout particulièrement, en appellent à Notre-Dame de la Garde, là-haut dans sa chapelle de la Garoupe qu’elle partage avec Notre-Dame de Bon Port, la grande protectrice des marins et des gens de mer. Le jour de la signature des «accords de Munich », une procession a été organisée. La Vierge appelée en ambassadrice pour remettre de l’ordre dans les affaires des hommes. Notre-Dame de la Garde est appelée « Reine de la Paix ». Un premier voeu est exaucé. Face à cette ferveur populaire, les autorités religieuses prennent les fidèles antibois au mot : NotreDame de la Garde sera couronnée Reine de la Paix lors de manifestations grandioses ! La nouvelle est officiellement annoncée le 10 juillet 1938 après les fêtes de Notre-Dame de Bon Port. Cette dernière n’en prend pas ombrage. Après tout, c’est la Vierge Marie à qui on rend hommage. Donc à ellemême. Les deux Notre Dame forment une seule entité céleste : la Vierge de la Garoupe. Le père Henri Delor, archiprêtre d’Antibes, précise la date de ces fastueuses cérémonies: du 18 au 25 juin 1939. Le jeune et dynamique curé se met à l’ouvrage. Il rassemble et motive ses ouailles. Le premier jour rassemblera, dans l’enceinte du stade du Fort Carré, d’éminentes personnalités religieuses pour la grand-messe pontificale. Prélude à un événement rare : le couronnement de la Reine du Ciel en Reine de la Paix. Qui dit mieux ? Dans un prêche admirable de clarté, l’archiprêtre décrit aux paroissiens aux anges le déroulé des festivités. Dès le 4 juin, NotreDame de la Garde quittera sa chapelle et fera son entrée dans la cathédrale. La Visiteuse sera célébrée jusqu’au jour « J » du 18 juin où débuteront messes, processions, grands-messes, et bien sûr cérémonie du couronnement… « De magnifiques solennités sont donc en perspective… Mais imaginez-vous, mes chers Paroissiens, quel sera le travail des organisateurs ? Quelles dépenses aussi seront être engagées pour que nos fêtes soient incomparablement belles ? Je fais donc appel au dévouement et à la générosité de mes paroissiens. Au dévouement d’abord : un comité est en formation, qui doit comprendre, avec les autorités, les présidents des différents groupements antibois. Des commissions devront s’occuper de tous les détails de nos fêtes et les organiser d’une façon parfaite. Il nous faut des membres pour ces commissions, membres actifs, ingénieux, animés à la fois de l’esprit d’équipe et de l’esprit d’initiative (...). Cette aide, nous la demandons aussi également aux dames et aux jeunes filles : elles aussi doivent contribuer à la splendeur de nos fêtes ». Mais, vouées à une célébration spirituelle et cultuelle, ces fêtes ne pourront être incarnées qu’avec le nerf de la guerre : l’argent ! D’où un appel vibrant à la générosité de tous, particuliers, associations, etc. Il faut restaurer la statue de Notre Dame. Lui confectionner un manteau royal et surtout lui offrir une couronne digne de son rang. Ou plutôt deux, puisque bien sûr, elle porte son fils. Il faut aménager l’esplanade du sanctuaire, de l’église paroissiale et du stade. Il faut décorer les rues empruntées par les processions. Il faut installer des haut-parleurs, louer les orgues électriques qui résonneront, haut, très haut. Il faut éditer des brochures et des affiches « pour amener à Antibes des foules considérables de fidèles venus de tous les points de notre Provence et plus loin encore ». Une souscription est ouverte. Et le curé Delor veut de l’or. « Les vieux bijoux démodés qui dorment dans les tiroirs trouveront une utilisation de premier plan dans la confection des couronnes. Quelle fin plus magnifique peut-on souhaiter pour ces vieilles parures ? » Durant tout ce temps, les fidèles se succèdent devant la statue de Notre-Dame pour égrener le chapelet du rosaire. Des millions d’Ave Maria sont récités. En boucle. Pour le père Delor, le jeu en vaut la chandelle. Il l’assure : « D’innombrables communions seront faites ; des grâces incomparables seront obtenues ; des conversions auront certainement lieu. Et ce sera notre paroisse qui, en tout premier lieu, bénéficiera des largesses du Ciel ». Voici enfin venu le premier jour des festivités. Avec un invité de choix : Paul Remond, évêque de Nice et bien sûr, l’archiprêtre Henri Delor accueillent le cardinal Rodrigue Villeneuve, archevêque de Quebec, Primat du Canada, membre des pères oblats. C’est lui le représentant du pape Pie XII. Il célèbre la grand-messe devant une foule immense rassemblée dans le stade du Fort Carré. L’Éclaireur de Nice qui deviendra NiceMatin à la Libération cite le chiffre de 6 000 personnes ! Auparavant, la Vierge a été portée en procession, sur la terre et sur la mer. La statue a été embarquée au port de la Salis, sur un bateau jusqu’au port Vauban. Suivie, côté terre, par un immense cortège. Le couronnement a lieu le dimanche 25 juin. L’occasion de nouvelles processions à travers la cité jusqu’au Fort Carré. À 10 heures, le front de Marie a été ceint de sa couronne étincelante. La voici Reine de la Paix.