Nice-Matin (Cannes)

Le jour où... Martel trahit sa promesse pour chérir l’éternelle Sarah

Aujourd’hui, retour sur une histoire d’amour légendaire qui aurait donné son nom à une artère

- MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Tous les lundis, nous vous proposons une série de récits – parfois romancés – revenant sur des épisodes qui ont marqué le passé dans la cité des Remparts. Sur ces fameux jours où...

Il était une fois, à l’ombre des temps, la rencontre de deux âmes qui n’ont probableme­nt jamais été des inconnues. Sûrement ont-elles été à tour de rôle Orphée pour Eurydice, Thisbé pour Pyrame. Fatalement, les coeurs siamois ne peuvent que revenir à la vie pour à nouveau exhaler le même soupir. Siècle après siècle, ère après ère, aube après aurore. Et il en est de même pour nos deux héros qui n’ont désiré ce titre que pour briller dans les yeux de l’un, dans le sourire de l’autre. Si je peux me permettre d’être aussi catégoriqu­e, c’est bien parce que j’ai participé à cette idylle éternelle. Malgré moi. Ou presque. En cette époque où les Barbaresqu­es attaquaien­t les forteresse­s des îles de Lérins, je m’érigeais comme rempart pour couver Antibol – votre Antibes d’encuei. Ni chevalier, ni monarque, on me respectait pourtant comme tel. On me craignait, même. Et à juste titre : s’attirer les foudres d’une bonne fée peut engendrer la tempête. Les flots comme chevelure, les vents comme caresse, la roche comme épiderme. Veillant sur la cité, ses naissances et ses destins, j’ai décidé par un coucher de soleil ardent de protéger les miens. Réunissant les forces de la jeunesse, les fiertés de nos familles au pied de la Fontaine du Pin. Buvant mes conseils comme l’on s’abreuve du lait maternel, les jeunes hommes ont fait voeu de fidélité à leur promesse. Je leur ai fait jurer de n’aimer aucune femme tant que l’envahisseu­r brûlerait nos terres. Quiconque défierait ma confiance, se verrait condamné pour son parjure. Tous ont été prévenus, tous ont parié sur leur loyauté. En vain pour certains… Plusieurs levers de soleil après ce serment, des valeureux Antibois sont tombés entre les mains des Sarrasins. Parmi les prisonnier­s : le plus vaillant des visages d’ange. Martel. Ce dernier pensa depuis le jour premier à sauver sa peau et celle de ses confrères. C’était sans compter sur une rencontre qui allait tout chambouler… Un doux bruissemen­t de voile et l’odeur de l’herbe fauchée. La nuit tombée, c’est face à la fille d’un seigneur Maure qu’il s’est retrouvé. Deux anonymes qui ne l’étaient tout à coup plus tellement. Un regard. Non, ils ne s’étaient pas tout dit. Un regard. Ils n’auraient même pas assez d’une vie. Cette fois-ci, elle s’appelle Sarah. Elle aurait pu être Antigone, Mademoisel­le de Chartres ou Juliette. Cette fois-ci, il se nomme Martel. Il aurait pu être Hémon, le duc de Nemours ou Roméo. Ils n’auraient pas dû se rencontrer, mais pourtant le sort les a liés. Entre eux : un fil invisible, une corde robuste. Le genre d’union qui se forge dans les heures de douleur, dans la fonte des glaces, dans la turpitude des pluies. On pourrait dire qu’ils s’aiment. Mais ce serait bien réducteur. Parce qu’ils sont au-delà de ça. Ils n’ont rien choisi. Ils ont été épris. Sauf qu’il ne s’agit pas ici de partir main dans la main célébrer la beauté du printemps jusqu’au dernier des temps. Ça leur est défendu. Là réside leur souffrance. Dans ce goût immodéré pour la liberté d’aimer. Une fille de seigneur Maure ne peut s’éprendre d’un chrétien. C’est ainsi, c’est comme cela. Face à l’impossibil­ité de se résoudre à la raison, Martel choisit de souffler sur les braises de son incendie intérieur. Celui-là même que Sarah a allumé sans le savoir. Un brasier dévorant, intense et torturant. Une fournaise que seule la volonté peut éteindre. Mais tel n’est pas son souhait… Puisque lorsque ses compatriot­es prisonnier­s brisent leurs chaînes pour rejoindre l’armée de Provence, l’amoureux voit plus loin. Dans une autre direction. Sacrifiant son honneur pour un autre coeur, il décide de suivre la seule, l’unique, Sarah. L’épisode aurait pu s’arrêter là. Mais la vie ne laisse jamais les insolents, les désobéissa­nts – si sincère soient-ils – s’en sortir comme cela. Martel avait pourtant été mis en garde. Il n’en a rien fait. J’ai dû donc agir. Pour ne pas perdre la face. Pour laisser ma légende prendre ma place. Ont-ils été heureux ? Plus que cela. Mais en profiter, ils n’en ont eu le droit. C’est un soir de plus où les deux âmes plus que soeurs s’enlaçaient dans les reflets de la Méditerran­ée que j’ai décidé d’opérer. Assis sur un tronc d’arbre auprès de la Fontaine du Pin, ils évoquaient l’amour. Le louaient. S’en extasiaien­t. Mal leur en a pris. C’est lorsque leurs lèvres se sont effleurées que les abîmes les ont terrassés. Les emportant dans un terrible tourbillon, j’ai emprisonné leur histoire sous la surface. Aspiré par la trahison à sa promesse, Martel a conduit sa délicate à la désespéran­ce. L’un contre l’autre. Dans un seul et même cri. Le hurlement des sentiments. La vindicte de l’incontrôla­ble. Sanction double. Sarah et Martel disparuren­t à tout jamais. Mais leur amour, dit-on, continue d’exister. Puisque depuis, une avenue de Juan-les-Pins porte leur nom. Saramartel. Dix lettres pour sceller leur union. Dix lettres pour nouer les liens indéfectib­les de la passion. Dix lettres qui en disent bien plus long. Dix lettres qui en valent autant qu’il en faudrait pour conter leur désir impérissab­le. Dix lettres. Parce qu’il était une fois. La leur.

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(Repro collection René Pettiti et photo J.-S. G.-A.) de Martel choisit « intérieur. » souffler sur les braises de son incendie
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