Nice-Matin (Cannes)

L’amour du travail bien fait

- JACQUES GANTIÉ

Début des années 2000. Sur France 3, on ne dit pas encore « bon app’ ! » mais « Bon appétit bien sûr ». Le chef qui reçoit dans son émission culinaire est un père tranquille, tellement province, pas un tatoué qui parle plus vite que son ombre. Il goûte, observe, corrige l’assaisonne­ment, rassure son invité aux fourneaux. « Aujourd’hui, joue de boeuf en pot-au-feu, poireaux, girolles et bouillon à l’huile d’olive... » Le nouveau millénaire s’annonce à feu doux, il n’est pas encore le plus étoilé du monde et ne sera jamais le plus médiatique mais les Français connaissen­t son nom. Robuchon. Un père-la-rigueur. Parler doux et poigne de fer, technicien discret, impression­nant de maîtrise, l’un des grands de la cuisine du produit « simple et propre ». Il fallait être sacrément costaud pour devenir chef d’hôtel (le Nikko) et deux étoiles à vingt-huit ans, comme Maximin alors au Negresco . Et puis on n’en gagne pas trois en trois saisons (son restaurant Jamin, Paris 1982 -1984) comme on brille à Top Chef.

Le chef le plus étoilé du monde Fils d’un père maçon et formé à la dure, débutant gâte-sauce dans les cuisines du Petit Séminaire de Poitiers, sa ville natale, Poitevin-la-Fidélité – son nom compagnonn­ique – a quitté la scène l’année où Bocuse a rendu sa toque. Sale temps pour la gastronomi­e française mais quel parcours à méditer. À table – facile ! – on retient la purée Robuchon (« elle n’attend pas et ne se réchauffe pas ! »), plus que sa gelée de caviar à la crème d’asperges, parmi ses premières créations. Jusqu’à 500 g de beurre pour 1 kg de pommes de terre, quand même ! Dans le métier, on se souvient qu’il parlait retraite en 1996. Parole de Poitevin ? Chacun reconnaît sa maîtrise du concept (ses « Ateliers » au décor rouge et noir), son art de codifier, sa ténacité. Il a eu, comme Alain Ducasse, qu’il est venu défier à Monaco – et qui l’a édité (1) – ses passes d’armes avec le Guide Michelin... dont il est aujourd’hui le chef le plus étoilé du monde. Fou d’Espagne et de Catalogne, omniprésen­t en Asie, (Macao, Hong Kong, Singapour...), demi-dieu au Japon, sa seconde patrie –- au point d’ouvrir Yoshi à Monaco – le voici dans quelque Panthéon de la gastronomi­e où il est déjà en cuisine, partageant son immense savoir et l’amour du travail bien fait. Habillé de noir, bien sûr.

1. Le Grand Livre de Cuisine de Joël Robuchon,Alain Ducasse Edition.

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