Notre reporter sur place, avec les secours : « C’est l’apocalypse »
Exténués. À bout. Après les trombes d’eau, le soleil qui cogne… Les pompiers, en sueur, vident bouteille d’eau sur bouteille d’eau. S’essuient le front à la va-vite. Chaque seconde compte. Combien de personnes encore ensevelies sous les décombres ? Combien de personnes encore coincées dans l’amas de bitume et de béton ? Et, surtout, combien de personnes encore vivantes? L’espoir, toujours et jusqu’au bout…
A moins de mètres d’un immeuble Il est 17h30. Le maire de Gênes vient d’arriver sur la zone de la catastrophe. Marco Bucci, mine sévère et tête rentrée dans les épaules, hâte le pas pour aller à la rencontre des hommes et femmes qui, depuis midi, heure à laquelle le viaduc de l’autoroute A10 s’est écroulé, sont à pied d’oeuvre. Ils sont alors plus de 240 pompiers professionnels, sans compter les pompiers volontaires, la Protection civile et les services sanitaires… D’un côté, le pont « Morandi » s’est effondré à moins de cinq mètres d’un immeuble. De l’autre, le viaduc a, en partie, éventré un entrepôt. Des drones survolent la zone. Peut-être pourront-ils capter un souffle de vie que les secouristes à pied auront laissé passer… Au milieu des gravats, dans le lit du fleuve Polcevera pratiquement asséché, des pompiers s’extirpent des décombres. Ils arriment une barquette orange à l’immense grue qui a été installée sur la gauche. Un secouriste se signe, effondré, et enlève son casque. À l’intérieur de la barquette, une forme entourée d’un drap blanc. Ce n’est pas le premier cadavre que les secours remontent. Ce ne sera pas le dernier… Ils le savent.
Voitures broyées et ballet d’hélicoptères Sur la route, les ambulances sont prêtes à évacuer les corps, à la queue leu leu, portes ouvertes. Et dans le ciel, le ballet incessant des hélicoptères fait un boucan d’enfer. De l’autre côté, à droite, des tentes blanches sont installées. C’est là que certaines familles de victimes ont été prises en charge. Une cellule psychologique a été immédiatement mise en place. Des habitants de l’immeuble à quelques mètres duquel le viaduc s’est écroulé sont également à l’intérieur, avec des médecins. C’est par ce côté-là aussi que les secours descendent. Un par un, sur une immense échelle jaune qui a l’air si fragile. À quelques mètres à peine de l’échelle, les restes d’un immense pylône, comme une compression de César. Au milieu, à l’intérieur, autour… des voitures broyées, des carcasses, parfois à peine visibles. «On ne sait pas s’il y a des gens dans les voitures. Mais on le pense», lâche un secouriste. «Ona ressorti des personnes encore en vie. On espère en trouver d’autres. Et de nombreux blessés ont été transportés à l’hôpital », dit-il, en s’appuyant sur le véhicule qui sert de poste de commandement.
« Je n’arrive plus à regarder » «C’est l’apocalypse», souffle une jeune femme de la Protection civile italienne. Elle a besoin de s’éloigner un peu. De s’asseoir. De se poser. De fermer les yeux… «Je n’arrive plus à regarder. Je n’arrive plus à poser mes yeux sur ces voitures aplaties. Je m’imagine les gens dedans. Des gens qui partaient en vacances, peut-être. Des familles. À 30 secondes près, pas plus, elles seraient saines et sauves. » Jamais le silence… Les sirènes résonnent sans discontinuer dans cette partie de Gênes, une zone industrielle. Des dizaines et des dizaines de véhicules de pompiers et de police entourent le site de la catastrophe, partent, reviennent. Autour, des déviations ont été mises en place et des routes ont été coupées pour permettre la circulation des secours. Et les klaxons des automobilistes, agacés d’être pris dans des embouteillages monstres, se mêlent aux sirènes hurlantes. Il est 19 heures. Les premières victimes ont été évacuées. Les victimes « de surface », comme disent les professionnels. Reste à fouiller et fouiller encore les décombres. 19h30 passées, ça s’agite autour d’un pilier caché derrière un immense morceau de la route. Les pompiers creusent. Avec espoir. Plus loin, malheureusement, un chien de sauvetage, l’un de ceux de Patrick Villardry, le pompier niçois (lire page suivante), «a marqué». C’est un bout de chou. C’est un enfant. Il n’a pas survécu.