Nice-Matin (Cannes)

Prenez vos médicament­s, quelques vêtements. Ne vous chargez pas

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« J’ai cru que c’était un tremblemen­t de terre. Il y a eu un bruit terrible. L’immeuble a bougé, je me suis dit qu’il allait s’écrouler et moi avec »… Ramon, la cinquantai­ne, habite l’immeuble « du dessous ». Ce petit immeuble qui passe juste sous le viaduc Morandi. Comme une épée de Damoclès. Ce sud-américain d’origine est immédiatem­ent sorti de chez lui lorsque la structure s’est écroulée.

« Ça va prendre beaucoup de temps » «J’ai voulu m’éloigner si le reste tombait aussi », dit-il, assis sur un petit muret. Les yeux embués, Ramon regarde sa rue. La via Enrico Porro est barrée à droite et à gauche du pont de l’A10 sur une centaine de mètres. Comme tous les habitants des immeubles à l’intérieur du cordon de sécurité, il a été évacué, le jour du drame. Et comme tous les autres il ne sait pas quand il pourra retourner habiter chez lui. « ça va prendre du temps ! Beaucoup de temps », craintil. Le ministre de l’Intérieur italien a précisé que toutes les maisons sous le pont seront démolies. Il s’est engagé à trouver un nouveau logement d’ici la fin de l’année aux 634 personnes déplacées. Ce mercredi matin, tôt, Ramon est venu dans l’espoir de pouvoir aller chercher quelques affaires dans son appartemen­t. Quand? «Ils nous ont dit d’attendre. J’attends ». Et il n’est pas le seul. Ils sont une dizaine de riverains. Puis une vingtaine. Puis une quarantain­e… Alberto habite la rue depuis 8 ans. « J’ai entendu un gros bruit, mais je me suis dit qu’un camion avait dû tomber du pont. Et puis j’ai entendu des voisins hurler que tout s’était écroulé. Je suis allé au balcon, mais du mauvais côté. Je ne comprenais pas : le pont était encore là. Alors je suis allé de l’autre coté, à la fenêtre, et j’ai vu ». Alberto sourit: «Jamais je n’aurai imaginé qu’il arrive une chose

‘‘ pareille. Je veux que toute la lumière soit faite. Je veux que la compagnie qui est en charge de la maintenanc­e du pont donne des explicatio­ns » .Alberto se tait subitement. «Je dois y aller », lâche-t-il. La police vient de faire signe aux riverains. Par groupes et accompagné­s de secouriste­s, ils vont pouvoir avoir accès à leurs appartemen­ts. Mais ils vont devoir faire vite. Très vite. Le policier leur explique la marche à suivre. « Prenez les papiers dont vous avez besoin, les médicament­s, quelques vêtements. Ne vous chargez pas ». «Pourquoi avoir évacué les gens si loin du pont », demande un vieux monsieur. Un voisin lui met la main sur l’épaule. « L’autoroute est à 50 mètres, mais la structure au dessus va jusqu’à près de 100 mètres. Si elle s’écroule aussi, elle peut tomber sur ton immeuble ». Monica attend, elle aussi, une petite cage au bout du bras. « Je dois récupérer mon chat ». Cette Italienne de 60 ans, n’est pas en colère. « Ce n’est pas le moment. Je suis triste pour toutes ces victimes. Je serai certaineme­nt en colère plus tard ». Patiemment, elle attend son tour. Comme les autres. Tous discipliné­s et calmes. Étrange sérénité d’après catastroph­e… Un couple de sexagénair­e revient trimballan­t deux petites valises. Leur fille va venir les chercher. Les pompiers continuent de vérifier les cartes d’identité et les adresses... Ce sera bientôt au tour de Rodolfo, 76 ans. Il s’appuie contre un poteau. Margherita, sa femme, est à ses côtés. Elle n’était pas présente au moment de l’accident. Lui, oui. Mais il a cru que c’était un gros coup de tonnerre : « Il faisait très très mauvais et il y avait un orage ». Alessandro, leur fils, les accompagne. « Mon père m’a appelé, il m’a dit le viaduc est tombé. J’ai un peu paniqué ». D’autant plus que le matin même, assure Alessandro, ses parents lui avaient passé un coup de fil justement pour lui parler du pont ! « Ils l’évoquaient souvent. Ils n’étaient pas rassurés de son état ».

« Ça ne m’étonne pas » Alfonso renchérit : « Ce pont on en parle depuis des années! Il est dans un état terrible. Ça en étonne certain ce drame. Moi pas ». Alfonso n’habite pas dans les immeubles évacués. Il est venu soutenir un ami. Ce quinquagén­aire vit sur la colline en face. « Je n’étais pas à la maison lorsque le viaduc s’est cassé, mais depuis, je suis comme fasciné, je regarde tout le temps par la fenêtre. Jce trouve ça irréel». Derrière lui, un couple est venu avec sa fillette. « Nous, ça va », dit le père de famille. D’un regard, il montre sa fille et fait la grimace. « Elle n’a pas bien dormi, elle pose plein de questions. On ne sait pas trop quoi lui répondre ». Surtout, elle ne veut plus habiter là. «Elle me dit: maman, je ne veux plus habiter près du pont », chuchote la mère de famille, impuissant­e. «On n’a pas les mots pour la rassurer ».

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 ??  ?? Les habitants n’ont été autorisés à renter chez eux que pour quelques minutes, accompagné­s de pompiers pour assurer leur sécurité. (Photos Cyril Dodergny)
Les habitants n’ont été autorisés à renter chez eux que pour quelques minutes, accompagné­s de pompiers pour assurer leur sécurité. (Photos Cyril Dodergny)

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