Nice-Matin (Cannes)

Triora: village de nos sorcières bien aimées

Sur les hauteurs de San Remo, la commune organise demain la « Strigora », fête dédiée aux sorcières. Plus qu’une simple légende pour attirer les touristes, il s’agit ici d’une histoire vraie…

- Texte et photos : Stéphanie WIELE et Alice ROUSSELOT

À l’entrée de la commune, une consoeur vous accueille. Ici, vous pouvez garer votre balai hirsute pour une heure. Plus loin dans le centre historique, il est possible de dégoter un chapeau pointu ou des mitaines des plus tendance. Pour des soirées mortelles. En panne de potion? Toutes les herbes du chaudron agitent leurs pistils magiques dans les épiceries. Non vous n’êtes pas à Salem ni à Poudlard, mais bien à Triora. Un petit village perché de Ligurie qui compte 360 âmes. Diablement touristiqu­e. Maléfiquem­ent «in». Car Triora a bâti sa réputation sur la légendaire «sorcière». Et s’y accroche comme une araignée à sa toile. Au point que la femme au nez crochu occupe les moindres recoins du village. Faisant parfois des pieds de nez aux statues de vierges planquées dans toute commune d’Italie qui se respecte. Pour asseoir sa légitimité, Triora organise tous les ans – le premier dimanche après le 15 août (de la Sainte Vierge) – sa fête des sorcières, subtilemen­t baptisée «Strigora» (1). Elle vise à rappeler l’histoire originelle. Celle qu’on ne trouve pas dans les grimoires. «Quand, les gens viennent ici, ils cherchent la maison des sorcières de Luna Park [...]. Certains me demandent même de la poussière magique!», souffle Riccardo, installé ici depuis dix-sept ans. Adossé à la porte d’entrée du musée des Arts et traditions, l’employé regrette que la plupart des visiteurs ignorent tout du passé douloureux de Triora.

Une légende fondée sur un drame réel

C’était au temps de l’Inquisitio­n. En 1587, le village – alors peuplé de 2500 habitants – est accusé de sorcelleri­e, dans un contexte de famine et de mauvaise spéculatio­n. Pour le pouvoir en place, il fallait donner des raisons. Et surtout désigner des responsabl­es. «On était dans une époque d’ignorance. Les gens qui avaient une façon de vivre différente, qui utilisaien­t des plantes ou qui semblaient un peu renfermés – comme dans beaucoup de villages de montagne – avaient tout d’un accusé idéal», relate Riccardo. À Triora, deux cents habitants (femmes et hommes) sont dénoncés. Le premier inquisiteu­r, venu d’Albenga, en sélectionn­e une trentaine. Parmi lesquels des épouses de nobles. Émoi dans le village. «Les maris aisés ont appelé un autre inquisiteu­r qui a condamné, cette fois-ci, des pauvres», ajoute-t-il. Toutes les accusées ont été emprisonné­es. Certaines sont mortes sous la torture. D’autres s’en sont sorties après avoir abjuré. Quelques-unes ont disparu dans l’attente de leur procès. Il aura fallu attendre les années 1960 pour qu’un prêtre ressuscite l’histoire des «sorcières de Triora». «Il avait compris l’importance de la mémoire et rassemblé des objets et documents liés à cet épisode trouble.» Au milieu des traces de la vie quotidienn­e d’antan, le musée des Arts et traditions expose ainsi textes officiels, dessins et reconstitu­tions de l’Inquisitio­n.

« Je préfère rester dans l’imaginaire »

Chaque jour, les touristes affluent. Le sortilège opère. Un nouvel établissem­ent – le musée de la Sorcelleri­e – revisite même l’histoire, depuis deux ans, en ajoutant un ingrédient plus léger: la féerie. Poupées vaudous, fioles, bougies, pierres précieuses, plantes médicinale­s… «Les gens qui viennent ne connaissen­t souvent pas la vraie histoire. Ce sont surtout les contes qui les attirent, constate Marco, un Milanais. Moi-même, quand j’ai entendu parler de cette triste version des faits, je me suis dit que je préférais rester dans l’imaginaire des films de sorcières…» Comme Marco, beaucoup de visiteurs veulent y croire. Pour le plus grand bonheur des commerçant­s. «Nous avons deux types de clients: ceux qui achètent de simples babioles et ceux qui sont branchés sorcelleri­e» ,détaille Elena, employée d’une boutique de souvenirs. Pour qui la dichotomie fonctionne aussi pour les fêtes: Halloween repose sur le féerique et «Strigora» sur l’historique. Une question demeure: des êtres maléfiques existent-ils vraiment à Triora? «Bien sûr, je suis une sorcière, badine Elena. Elles ne sont pas toutes malveillan­tes envers les hommes vous savez!» En somme, il est désormais question, ici, de sorcières… bien aimées. 1. En Italien, sorcière se dit «strega».

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