Nice-Matin (Cannes)

René Frydman : « La médecine doit s’adapter à l’évolution de la société »

Le père scientifiq­ue d’Amandine, premier bébé-éprouvette né en 1982, est opposé au principe de la mère porteuse. Il espère une ouverture de la PMA à toutes les femmes

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE DOUET/ALP

La PMA est au coeur des débats actuels sur la bioéthique. Le 18 juillet dernier, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouverneme­nt, annonçait que la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) ferait partie intégrante du vaste futur projet de révision des lois bioéthique­s, au premier semestre 2019. Alors que déjà onze pays l’ont adoptée, la France traîne, bien que la volonté des Françaises d’utiliser la PMA soit croissante. René Frydman est un scientifiq­ueclé pour l’évolution de l’accès à la grossesse. C’est ce gynécologu­eobstétric­ien qui a permis la mise au monde du premier « bébééprouv­ette » en 1982. L’accès à la PMA pour toutes est pour lui une nécessité, tant pour répondre aux nouveaux besoins des femmes, que pour éviter la GPA (gestation par autrui), contre laquelle il se dresse

Dans un récent rapport, le Conseil d’Etat dit ne pas voir d’obstacle juridique à l’ouverture de la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) à toutes les femmes, c’està-dire aux célibatair­es et aux couples d’homosexuel­les(). Une satisfacti­on pour vous qui avez reconnu avoir aidé des femmes qui n’ont pas accès à la PMA à devenir mères ?

Cet avis va simplement dans le sens de la société actuelle, marquée par une demande croissante de PMA. Ce n’est pas là une revendicat­ion de médecins, mais bien une demande des femmes. Je suis favorable à cet élargissem­ent, même si j’y assortis la nécessité d’accompagne­r cette PMA. Je prends appui sur l’exemple belge : si ce pays a ouvert la PMA à toutes les femmes, il ne suffit pas de la demander à un médecin. La femme ou le couple qui souhaitent avoir recours à la PMA doivent passer un certain nombre d’entretiens au cours desquels ils s’expriment sur leur disponibil­ité matérielle et affective. Il ne s’agit pas d’un flicage, mais bel et bien de les informer de ce qu’il faut réunir pour accueillir un enfant dans les meilleures conditions. Après ces entretiens, environ  % des demandeurs renoncent. Cela montre la nécessité d’accompagne­r leur réflexion avant de se lancer.

La Manif pour tous est vent debout contre cette possible ouverture. Son premier argument concerne les risques liés au fait de fonder une famille sans père. Que leur répondez-vous ?

Je leur dis d’abord que les études dont nous disposons ne montrent pas que les enfants élevés par deux femmes présentent des difficulté­s particuliè­res. En plus, cela revient à stigmatise­r moralement les femmes qui sont seules avec leur enfant après une séparation ou un veuvage. Toutes les femmes sont libres de porter un enfant, avec ou sans père. On ne va pas mettre en place une police morale.

En cas de don d’ovocytes, êtes-vous favorable à l’accès à l’identité de la donneuse, actuelleme­nt anonyme en France ?

La conception avec don d’ovocytes est une pièce en deux actes qui se jouent à dix-huit ans d’intervalle. Premier acte : un couple stérile désire un enfant et a recours à un don pour y parvenir. Deuxième acte : dixhuit ans plus tard, s’il connaît son histoire, l’enfant devenu majeur peut avoir envie de connaître ses origines. En Angleterre, tout donneur est inscrit, sous son nom, dans un fichier. Je suis pour cette même inscriptio­n, mais avec la possibilit­é pour la donneuse de se rétracter plus tard. C’est la seule solution démocratiq­ue, qui revient à laisser le choix à chaque protagonis­te de cette histoire : aux parents de parler ou pas à leur enfant des modalités de sa conception, à l’enfant majeur de connaître l’identité de la donneuse ou pas, et à la donneuse de laisser son identité si elle le souhaite. La vie est trop complexe pour figer les choses.

Finalement, vous réclamez une médecine adaptée à l’évolution de la société ?

Bien sûr. C’est un fait de société : les femmes veulent faire des enfants plus tard, alors même que la fertilité baisse avec l’âge. Nous devons les aider, en favorisant par exemple le recours au don d’ovocytes.

Pourquoi ce don d’ovocytes estil si peu rentré dans les moeurs en France ?

Parce qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait pour sensibilis­er les femmes. Les rares campagnes ne sont pas relayées. En plus, seules les campagnes nationales sont autorisées : si je voulais, de ma propre initiative, à l’hôpital Foch où je consulte, parler du don d’ovocytes aux femmes qui souhaitent donner, je serais horsla-loi. Avant d’envisager de rétribuer les dons, comme certains l’ont suggéré pour booster l’offre, il faudrait commencer par informer l’opinion publique sur ce en quoi cela consiste.

Vous plaidez pour l’analyse génétique de l’embryon avant implantati­on, pratique interdite par la loi en France… Oui, cette analyse est interdite, sauf pour les couples qui risquent de transmettr­e à leur enfant une maladie génétique. Or,  % des embryons obtenus par fécondatio­n in vitro ne s’implantero­nt pas, et même  % si la femme a plus de  ans. Un diagnostic préimplant­atoire, chez les femmes à risque, pourrait déterminer quels embryons sont susceptibl­es de s’implanter. Aujourd’hui, on congèle des embryons qui ne donneront jamais de bébés. Ils « attendent » pour rien. Or, leur analyse génétique, puis la sélection de ceux qui sont susceptibl­es de s’implanter, permettrai­t de gagner du temps. Et ce temps est précieux pour une femme de  ou  ans qui attend d’être enceinte. A savoir que la France est, parmi ses voisins européens, l’un des derniers pays à ne pas autoriser le diagnostic préimplant­atoire avant implantati­on.

Ne faudrait-il pas travailler aussi en amont, sur la prévention de la fertilité ?

Tout à fait, c’est un aspect trop négligé. On le sait bien, la fertilité baisse avec l’âge et l’exposition à certains facteurs : tabac, polluants... Certaines femmes n’y songent pas et s’aperçoiven­t, à  ans passés, qu’elles ont des difficulté­s à concevoir. Or, une mesure telle que l’envoi systématiq­ue aux femmes de  ans, par la Sécurité sociale, d’une informatio­n sur leur fertilité pourrait éviter des déconvenue­s. Il s’agirait d’expliquer à ces trentenair­es que l’âge joue contre la physiologi­e, mais aussi de les inviter à faire évaluer leur fonction ovarienne. Cet examen – une prise de sang et une échographi­e – permet de faire un bilan pour envisager sa fertilité à venir, prendre des décisions, par exemple une autoconser­vation des ovocytes.

En matière de sélection embryonnai­re, vous ne souhaitez pas que la loi aille plus loin ?

Non. Que la sélection embryonnai­re serve à sélectionn­er des embryons sur des critères autres que leur possibilit­é de s’implanter dans l’utérus ou l’absence de risque de développer une maladie grave serait une grave déviance.

Vous êtes également opposé à la GPA…

On ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Il n’y a pas de droit à l’enfant. La GPA, c’est une location du corps de la femme, une marchandis­ation du corps. C’est pourquoi, à mon sens, elle ne doit pas être autorisée. 1. En France, la PMA est jusqu’à présent réservée aux couples hétérosexu­els et qui souffrent d’une infertilit­é médicaleme­nt constatée ou bien qui risquent de transmettr­e une maladie grave à l’enfant.

C’est un fait de société : les femmes veulent des enfants plus tard” La GPA est une location du corps de la femme”

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(DR) René Frydman consulte toujours à l’hôpital Foch de Suresnes.

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