Nice-Matin (Cannes)

« Macron, son vrai adversaire c’est lui-même »

Malgré les turbulence­s estivales, le politologu­e n’estime pas le chef de l’Etat fragilisé en cette rentrée. Mais il l’incite à mettre en oeuvre une gouvernanc­e plus participat­ive

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

De sa villégiatu­re du Lot, où il a pris l’habitude de se ressourcer depuis trente ans, Roland Cayrol ne perd malgré tout pas une miette de l’actualité. Adossé à cinquante ans d’analyse de notre vie démocratiq­ue, le politologu­e a accepté de décrypter pour NiceMatin le paysage politique de cette rentrée. Non sans une certaine bienveilla­nce pour Emmanuel Macron…

Quelles traces durables laissera l’affaire Benalla ?

Je peine à croire que cette affaire laissera des traces durables. Les études d’opinion montrent plutôt que les gens ont suivi le feuilleton avec un vrai intérêt et un vrai énervement au début, puis qu’ils ont eu le sentiment que les médias en faisaient trop. Mais les opposition­s n’ayant pas toujours grand-chose à se mettre sous la dent, cette affaire était pain bénit pour elles et elles l’ont usée jusqu’à la corde. Il est possible que des flammèches se rallument, mais sans passionner outre mesure les Français.

Comment jugez-vous la situation d’Emmanuel Macron après un an de pouvoir ? Plus d’un Français sur deux se dit déçu de son action et les résultats économique­s ne sont pas au rendez-vous…

C’est vrai, mais on le sait bien, l’économie ne se gouverne pas à coup de mesures miraculeus­es. Les temps sont durs. Ni Macron ni personne ne s’attendait à une embellie soudaine. Toutes les mesures économique­s et sociales sont de moyen et de long terme. C’est un effort qu’il faut sans arrêt remettre sur le métier et c’est pour cela que Macron ne veut pas ralentir le rythme des réformes. Ceci étant, l’absence de résultats rend sa rentrée plus compliquée.

Est-il plus fragile qu’il y a un an ?

Je n’en suis pas sûr. Au fond, il a plutôt bien mené sa première année, en tenant globalemen­t sa feuille de route et en laissant la portion congrue à l’opposition. Il n’a pas réellement de crainte à avoir sur sa liberté de manoeuvre, d’autant qu’une part importante de l’opinion, qu’elle le soutienne ou le critique, et même surtout si elle le critique, estime qu’il est encore trop tôt pour le juger. Comme si les Français eux-mêmes n’attendaien­t pas des résultats trop vite, conscients qu’il faut environ deux ans pour voir si le climat économique du pays change. Je pense donc que Macron est plutôt en forme politique. Son vrai adversaire, c’est peut-être lui-même. J’ai été frappé, lors de son discours au Congrès, qu’il endosse un grand nombre des critiques qui lui étaient faites, sur sa trop grande sûreté de soi ou sur son mode de gouvernanc­e. Il avait annoncé lors de sa campagne une gouvernanc­e démocratiq­ue dans laquelle les corps intermédia­ires, les syndicats, les associatio­ns et les citoyens eux-mêmes seraient appelés à participer à la transforma­tion du pays. Et cela, on ne l’a pas vu. Le « tous ensemble » est devenu le « moi, je suis le père ». J’ai tendance à penser que l’inflexion de son discours de Versailles annonce un changement de gouvernanc­e. Comme l’écrit le sociologue Michel Crozier, On ne change pas la société par décret et il est important que la France se sente mise dans le coup. C’est ce que j’attends de voir de cet an II du macronisme : s’il aura la volonté de faire avec la société française, et pas seulement de « réparer la France », comme le dit le Premier ministre. Il ne s’agit pas seulement de la réparer, mais de la mettre dans le coup. Sentez-vous aujourd’hui les Français plus enclins aux réformes ou au repli pour défendre leurs acquis ? Notre psychodram­e national tient justement au fait que les Français sont tiraillés. A la fois extrêmemen­t conscients d’un besoin de changement, ils n’ont pas envie que Macron arrêtent les réformes – on a vu l’opinion le pousser à aller au bout sur la SNCF –, ils ne veulent pas que le pays soit laissé dans un état où il n’est ni juste ni efficace. Mais, en même temps, existe toujours la crainte d’être soi-même touché par les réformes. De ce point de vue, le débat sur les retraites, un sujet sacré pour les Français, s’annonce comme un grand rendez-vous. Chacun veut bien bouger, mais en étant sûr que cela va dans le bon sens, sans trop le léser.

Les nouveaux patrons de LR et du PS, Laurent Wauquiez et Olivier Faure, ne parviennen­t pas à émerger. Pourquoi ?

Les plus anciens se souviennen­t d’avoir connu cela au début de la Ve République. Le général de Gaulle est arrivé et il y a eu un renouvelle­ment profond du personnel politique. Une majorité parlementa­ire absolue s’est installée, composée d’hommes et de femmes inconnus des Français. Le Général tenait la barre et on avait le sentiment d’entrer dans un nouveau monde. Du coup, tous les autres donnaient l’impression d’être devenus des défenseurs nostalgiqu­es d’un monde disparu. Il a fallu longtemps pour que le PS, en particulie­r, se refasse une virginité, qu’il n’a retrouvée qu’au congrès d’Epinay en , et que tous les partis arrêtent d’être des vieux partis et se remettent à répondre aux attentes des électeurs. Nous sommes dans la même conjonctur­e aujourd’hui. Un nouveau monde est apparu, on le regarde de façon parfois intriguée, parfois courroucée, mais on se dit qu’il faut voir ce qu’il va donner. A côté de ça, les autres paraissent un peu décalés. Il faudra un certain temps aux opposition­s, à gauche, à droite comme à l’extrême droite, pour parvenir à se rebrancher sur les attentes des citoyens. Elles doivent aussi montrer qu’elles ont intégré le désir de changement, en renouvelan­t leurs pratiques et leurs têtes d’affiche.

Comment expliquez-vous la résurrecti­on dans l’opinion de François Hollande ?

Il ne faut pas se tromper. L’un des auteurs politiques qui a le plus de succès en France est Philippe de Villiers. Ses livres se vendent comme des petits pains mais ça ne fait pas de lui quelqu’un qu’on crédite d’un avenir politique. Les gens se disent qu’il va balancer, dire des choses savoureuse­s et d’ailleurs ils en ont pour leur argent parce qu’il le fait. Le succès du livre de François Hollande relève du même mécanisme. Les lecteurs se sont dit qu’ils allaient apprendre des choses. Mais il aurait tort de prendre ce succès comme un appel à revenir sur la scène politique. Je ne crois pas qu’il ait un avenir politique. Quand le suffrage universel a dit non à quelqu’un ou que lui-même s’est effacé, il n’y a guère de retour possible.

Quel est aujourd’hui l’opposant le plus crédible au chef de l’Etat ?

Au-delà de Macron lui-même qui pourrait être son pire ennemi, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen incarnent deux façons et deux légitimité­s politiques de l’attaquer. Mais on sent bien que l’un comme l’autre ont du mal à engranger de nouveaux soutiens. Ils tiennent leurs vieilles maisons, mais on ne perçoit pas de souffle nouveau, ils ont du mal à incarner une capacité de renouvelle­ment.

Les problèmes judiciaire­s et financiers actuels du RN vont-ils le plomber ou lui permettre de rebondir en se victimisan­t ?

On a déjà vu que des gens se sont mobilisés et que de l’argent est arrivé (  euros de dons auraient été récoltés depuis juillet, ndlr). Je crois toutefois que le problème essentiel du RN est d’abord un problème de crédibilit­é gouverneme­ntale et de leadership. Marine Le Pen n’a pas réussi, pour le moment, à positionne­r le RN comme un parti présidenti­el possible, parce qu’elle n’a pas d’allié réel pour constituer une coalition gouverneme­ntale. Là est son véritable défi désormais.

Comment imaginez-vous les européenne­s ? Déversoir des rancoeurs ou sursaut de la conscience européenne ?

Il y aura une forte poussée des populismes anti-européens, mais cela va dans une certaine mesure faciliter la tâche des pro-européens. Depuis les premières élections européenne­s au suffrage universel, en , les commentate­urs se sont toujours trompés dans l’analyse des résultats. On risque d’assister à une apparente redistribu­tion des cartes qui ne durera pas. Macron devrait s’en tirer sans trop de casse parce qu’il va soutenir la liste pro-européenne centrale, mais le Rassemblem­ent national comme La France insoumise vont profiter de la proportion­nelle pour capitalise­r sur une critique dure de la constructi­on européenne et de ses errements.

On a toutefois le sentiment que, pour une fois, le vote se fera sur de réels enjeux européens et ne sera pas un simple défoulemen­t…

On perçoit effectivem­ent une volonté de dire à l’Europe ce qui va et ce qui ne va pas dans son fonctionne­ment. La coloration pro ou anti-européenne sera au centre de la campagne. Cela dit, comme on revient aux têtes de liste nationales, les débats, sur fond de tableau européen, seront nourris par les dossiers intérieurs.

Je ne crois pas que Hollande ait un avenir” Macron pourrait être son pire ennemi”

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(Photo Gilles Traverso) Roland Cayrol,  ans, ancien directeur de l’institut de sondages CSA.

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