Nice-Matin (Cannes)

Yvan Oreggia : l’ombre de Picasso, le coeur de Madoura

Durant vingt ans, il a appris et créé aux côtés du maître : ne se considéran­t pas comme un artiste il a fait vivre la céramique. Ce soir, il livrera son témoignage unique au public présent

- PHILIPPE DEPETRIS

Le témoignage que livrera aujourd’hui à 19 heures au musée de Vallauris Yvan Oreggia, à l’invitation de l’associatio­n des amis du musée présidée par Sandrine Hizebry, est celui d’un destin hors-norme. C’est l’histoire d’un gamin qui, par un hasard extraordin­aire, partagera au sein de l’atelier Madoura pendant près de 20 ans, l’intimité artistique de l’un des plus grands créateurs du XXe siècle, Pablo Picasso. A priori, rien ne prédestina­it Yvan Oreggia à une carrière artistique. Né à Colmar le 3 avril 1936, il grandit à Cannes. À l’âge de 12 ans il perd sa maman et rentre comme pensionnai­re au lycée Jules Ferry : « J’avais essayé la mécanique, la maçonnerie et la menuiserie mais mon professeur de dessin m’avait trouvé doué et m’a orienté vers la céramique. » Après 3 ans d’apprentiss­age et un CAP, le jeune garçon participe avec ses camarades à la visite de la poterie Madoura : «Alors que nous étions dans l’atelier la patronne Madame Suzanne Ramié demanda “Qui est Yvan Oreggia ?” Je me suis avancé et j’ai appris alors qu’elle faisait partie du jury de mon CAP et m’avait remarqué ». Quelques semaines après, un rendez-vous était pris: « Madame Ramié était là avec Picasso. On me demanda de reproduire le dessin que le maître avait réalisé sur un pot. Je me suis appliqué et je fus engagé ! » Du haut de ses 17 ans et demi il avait conquis le maître avec qui il allait travailler de 1953 à 1973, dans l’atelier où il oeuvra pendant 43 ans jusqu’à sa retraite : « Je ne mesurais pas alors l’importance des moments que je vivais mais j’étais heureux et passionné. »

Maillon essentiel

Car Picasso, qui aimait la céramique autant que la peinture, avait l’idée de popularise­r son art et de la rendre accessible. D’où sa décision de confier en exclusivit­é à Suzanne Ramié, l’édition de ses céramiques. Une aventure dont Yvan Oreggia allait être l’un des maillons essentiels en devenant le décorateur attitré du peintre. « Moi je ne suis pas un artiste », raconte avec modestie Yvan Oreggia : «Mon rôle consistait à reproduire à l’identique la pièce que j’avais devant les yeux, sur une tournette double, en choisissan­t les engobes et les émaux en fonction de ce qu’avait décidé Pablo. Il faut croire que mon travail lui convenait, ce qui, avec le recul m’honore profondéme­nt. »

En toute discrétion

« J’ai eu la chance d’avoir de bonnes mains mais je sais maintenant que j’ai recopié le meilleur et que nous sommes seulement trois, madame Ramié, moi et plus tard Dominique Sassi, à avoir vécu cette formidable expérience avec Jules Agard qui était le tourneur et Jean Ramié l’enfourneur. » Pendant 20 ans donc, Yvan s’imprègne au quotidien de l’esprit de Picasso et de ses techniques allant même jusqu’à tenir le couteau de la même manière que le maître : « Il était exigeant et c’était un infatigabl­e travailleu­r. Il aimait créer dans le silence mais parfois il discutait avec nous à bâtons rompus. Il était simple et gentil se mettait parfois en colère, mais il me faisait confiance. Un jour je n’avais pas fini une pièce. C’était un vase à deux anses. J’étais allé déjeuner et lorsque je suis revenu Pablo avait fini luimême la pièce sans reprendre mon travail. Cela m’a ému. » Ainsi Yvan Oreggia feuillette-t-il avec nostalgie mais sans regret, le livre de ses souvenirs dans l’ombre de Picasso et des Ramié. Sur de nombreuses photos de l’atelier fréquenté aussi par Chagall ou Bronner et tant d’autres, et dont beaucoup ont été prises par André Villers, on remarque la haute silhouette d’Yvan, jamais en avant mais toujours présent dans la discrétion qui le caractéris­e : « Je sais maintenant que j’ai eu la chance de côtoyer l’un des plus grands génies créateurs de l’histoire de l’art et une femme remarquabl­e et cela suffit à mon bonheur car ce n’est pas donné à tout le monde. »

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(Photos DR et Ph. D.) Yvan (à droite) et Pablo Picasso : une intimité artistique exceptionn­elle. Yvan Oreggia tient dans les mains, le pot qu’il a décoré à  ans et demi devant Picasso et Suzanne Ramié.
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