Fusillés du Fort Carré: l’émotion toujours intacte
Demain, cela fera 74 ans que huit hommes et deux femmes ont connu un sort tragique. L’un de leurs descendants, Jean-Claude Bonhomme, bataille depuis toujours en leur mémoire
Demain, il ira se recueillir une fois de plus sur la tombe de son grand-père. Demain, le médaillon qu’il porte toujours autour du cou, depuis l’enfance, lui sera plus cher que jamais. « Sa médaille de baptême. » Ce dimanche 23 septembre, JeanClaude Bonhomme rendra hommage à François Biondo. Comme il le fait depuis de longues années. Son aïeul, le père de sa mère, est l’un des dix Antibois qui, le 23 septembre 1944, ont été fusillés au Fort Carré. La Ville avait été libérée le 24 août. Les historiens ont retracé cette tragédie. Dans une enquête fouillée parue en 2007 et récompensée par un prix national, notre collègue Eric Farel avait recueilli les témoignages d’une partie des familles représentant les disparus: Georges Borel, chef de la clinique Wilson, Christophe Russo, boulanger, Joseph Fallara, livreur boulanger, Sylvain Aimar, horloger, Victor Orlandini, métayer, Jacques Marconnet, collecteur à la taxe de séjour et son épouse Jeanne, Carmen Raveu, secouriste, César Pavesi, matelassier et François Biondo, photographe. Ses cartes postales et ses extraordinaires clichés illustrant nombre d’événements de la vie antiboise, sur des décennies, sont connus. Ils sont reproduits dans des ouvrages, des articles de notre titre relatant l’histoire de la cité… Les descendants bataillent pour réhabiliter leurs disparus qui, pour eux, n’avaient rien à voir des fascistes. L’origine du drame est connue : lors d’un contrôle par deux FTPF armés (Francs-tireurs et partisans français), au Palais Fleuri, le 22 septembre au soir, à Juan-les-Pins, un homme a été tué. Pas de plaque commémorative
Dans l’affolement, une fusillade est déclenchée par l’un des FTPF. Le bilan est lourd : quatorze victimes. Le lendemain, le commandant de la place militaire demande des comptes, persuadé qu’un attentat a eu lieu. Finalement, une liste de dix otages est constituée. Conduits au Fort Carré, ils sont exécutés sans jugement, le matin du 23 septembre, dans un fossé. Réhabiliter l’honneur de ces fusillés. Ne pas laisser sombrer ce triste pan de l’histoire locale d’une période trouble, marquée sur tout le territoire national par des bavures et des règlements de comptes. Tel est le combat mené par les familles. Une lutte longue et usante. Certains, aujourd’hui, ne sont plus de ce monde. Ils seront partis sans obtenir ce qu’ils demandaient : une plaque commémorant l’événement, apposée à l’entrée du Fort Carré. En vain. La demande a été portée durant longtemps par Jean-Claude Bonhomme. « Nous avons été reçus par Jean Leonetti le 7 janvier 2008. Nous voulions une plaque nominative. Le maire a dit non. Mais, nous a demandé d’étudier un message plus général…» Ce qui est fait. Un devis est même établi par les familles. Mais pas de nouvelles… Le 11 juillet de la même année, dans un courrier, le maire précise qu’« avant de prendre la décision d’apposer une plaque commémorative, j’ai demandé que des personnes compétentes sur le plan historique soient saisies afin qu’une expertise indépendante et historique me soit communiquée… » Il faut attendre plus de sept ans pour que la décision tombe. Dans une lettre datée du 1er juillet 2015, le maire annonce « qu’une commission, réunissant officiers généraux, représentants des ordres nationaux et de la médaille militaire, ainsi que des associations patriotiques et d’Anciens Combattants » a été réunie le 1er juin par Gérald Lacoste, délégué aux Anciens Combattants et Victimes de Guerre qui a rencontré JeanClaude Bonhomme. « Au terme de ces échanges et après un vote, l’avis de cette commission a été de ne pas donner suite à la demande des représentants des familles fusillés du Fort Carré » confirme le maire. La plaque sur laquelle était sobrement inscrit : « Ici, le samedi 23 septembre 1944, au matin, dix Antibois (8 hommes et de 2 femmes) ont été fusillés sans jugement » ne sera donc jamais apposée. Jean-Claude Bonhomme est monté au créneau une dernière fois, en octobre 2015, en émettant le voeu que la tragédie soit au moins évoquée lors des visites guidées au Fort Carré. Dans sa réponse, Jean Leonetti a décliné, précisant que ces visites entrant dans un cadre touristique. La mémoire des fusillés continue à vivre dans le coeur de leurs descendants. Jusqu’à leur dernier souffle. Et après ?