Nice-Matin (Cannes)

Pêcheur de dinosaures

Le paléontolo­gue a tout plaqué pour fouiller la terre et étudier les dents de poissons fossilisée­s

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N’évoquez pas Jurassic Park devant Gérald Lemaître. Une fois ses doux souvenirs d’enfant rêveur envolés, ce sera pour lui un dur retour à la réalité. « Jurassic park casse un peu le travail scientifiq­ue du paléontolo­gue, regrette cet Antibois de naissance. On fait des découverte­s… et Jurassic park déboule avec des millions d’entrées au cinéma qui cassent le travail de vulgarisat­ion qui a été fait jusqu’ici. Comme tous les enfants, j’ai aimé le premier film. Mais je n’ai surtout pas voulu voir le dernier. Les images sont très éloignées des découverte­s actuelles... » Commercial à l’Île-Maurice dans une autre vie, Gérald Lemaître a jusqu’ici traversé un parcours aussi chaotique qu’enrichissa­nt. À 18 ans et le bac laissé de côté, il rejoint le territoire insulaire dont est originaire sa mère. Pour, finalement, aujourd’hui, être sur le point de terminer un mémoire d’étude en paléontolo­gie dans la cité des Remparts (il fait ses études entre Antibes, où il travaille, Lyon et Paris). Le sujet ? L’histoire évolutive des structures dentaires chez les poissons. Ah... on est assez loin des dinosaures, non ? Et bien pas tant que cela. «On m’a proposé plusieurs sujets pour mon mémoire, comme les stégocépha­les par exemple. Ce sont des espèces de salamandre­s géantes qui ont vécu dans le Var. Mais je trouvais les travaux sur les dents de poissons plus pointus. Je suis donc passé des très gros ossements de dinosaures à des restes de poissons, les dents, de quelques millimètre­s. » Ses recherches se concentren­t essentiell­ement dans la région et s’appuient sur l’associatio­n Phylogenia, qu’il a créé avec des amis scientifiq­ues. Mieux, le paléontolo­gue de 35 ans a même l’ambition de mêler ses travaux à la crise environnem­entale que subit de plein fouet la planète bleue aujourd’hui. Car des centaines de millions d’années plus tôt, les crises passées ont laissé des traces indélébile­s dans ces quelques millimètre­s de minéraux, figés dans les sédiments par l’histoire de la vie. «Pour moi, la paléontolo­gie, c’est comprendre comment la vie a évolué. On sait que des groupes ont complèteme­nt disparu alors que d’autres ont survécu. La paléontolo­gie est une dynamique qui permet de comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui. On entend parler de crises environnem­entales, d’érosion de la biodiversi­té… Ce que je fais à travers l’étude de ces microstruc­tures dentaires, c’est étudier les crises subies dans le passé. Et comment telle espèce s’est comportée et a évolué. Ce qui est intéressan­t avec les poissons, c’est que dans toute l’histoire de leur évolution, c’est un groupe qui a quasiment traversé toutes les crises sans trop souffrir. Mais aujourd’hui, nous avons ce qu’on appelle un goulot d’étrangleme­nt. On commence à voir que le groupe se porte de moins en moins bien. » Bientôt son mémoire en poche, Gérald Lemaître veut prolonger son voyage dans le temps. Et compte poursuivre son cursus universita­ire, entamé l’an dernier au sein de l’école Pratique des hautes études de Paris, avec une thèse de doctorat. Pour aller toujours plus loin dans cette passion dévorante qui l’a happé il y a une dizaine d’années. Car c’est finalement presque par hasard, lorsqu’il rentre en France avec son épouse et que tous deux passent leur bac, en 2008, qu’il entend parler d’une associatio­n varoise. L’ARPV (associatio­n de recherches paléontolo­giques du var) étudie alors un gisement d’ossements de dinosaures dans le Var. Gérald Lemaître franchit le pas pour ce qu’il pensait n’être, au départ, qu’une journée de fouille sans lendemain. On connaît la suite. « Finalement, avec la paléontolo­gie, on a la possibilit­é de consulter des archives naturelles et d’étudier des mécanismes parfois très fins. C’est vraiment magique. » Père de deux bouts de chou de 5 et 7 ans, le jeune homme éduque sa progénitur­e avec la fibre environnem­entale. Qui sait, peut-être que dans un futur proche, comme lui, ils évolueront avec un regard sur la vie qui s’inspire du passé. Comme lui, un passé qui date de plusieurs centaines de millions d’années. Pour plus d’informatio­ns, asso.phylogenia@gmail.com

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Textes : Jérémy Tomatis antibes@nicematin.fr Photo : Eric Ottino

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