Le bal des indignés
Marine Le Pen est indignée. On peut la comprendre. Sa convocation chez un psychiatre est une aberration. Il se trouve que c’est la loi. Il y a des lois mal faites. Dès lors que la présidente du RN est mise en examen pour diffusion d’images violentes (mise en examen d’ailleurs tout à fait discutable), l’expertise psy est automatique. Aberrante mais automatique. Le reste est politique. Que Marine incrimine le pouvoir et crie à la persécution, c’est de bonne guerre. Bien d’autres avant elle ont cherché une échappatoire politique à leurs démêlés judiciaires. Plus étonnant est le chorus d’indignation que cet épisode a provoqué, et pas seulement chez les partisans de Marine Le Pen. Quel tollé ! On a tout lu, tout entendu. Que la dictature macronienne veut psychiatriser ses opposants, qu’on se croirait dans l’URSS de Staline ou la Roumanie de Ceausescu. On en passe. Tant d’excès n’ont pas manqué de soulever, du côté des soutiens du gouvernement, et plus encore dans le monde judiciaire, une vague… d’indignation. Voilà où nous en sommes. Au pays de Descartes et de Voltaire, le bon sens, la mesure et la tolérance ont pris
congé. L’indignation tend à devenir le
mode normal d’expression. Elle envahit les consciences et l’espace public. On n’entend qu’elle. Elle sature le débat et étouffe toute argumentation. A coups de raccourcis, de caricatures et de procès d’intention. A chaque jour sa polémique et ses motifs d’indignation. Il y en a pour tout le monde. Pour toutes les opinions ou tous les préjugés. Si vous êtes indigné, tapez ; révolté, tapez ; scandalisé, tapez . On s’indigne des propos de Zemmour – ou que certains veuillent faire taire Zemmour, c’est selon. On s’indigne que le chef de l’Etat sermonne un jeune chômeur. On s’indigne contre Benalla. On s’indigne contre le Sénat. On s’indigne que le ministre Blanquer veuille développer l’enseignement de l’arabe à l’école. On s’indigne des km/h. Un clash chasse l’autre. Dans cette sarabande, ce sont généralement les réseaux sociaux, inépuisables réservoirs d’indignation, qui donnent le « la ». Ou créent le buzz. Les télés et radios embrayent et l’amplifient. Il y a même des émissions faites pour ça, véritable foires aux indignés, où les plus exaltés et les plus virulents ont leur rond de serviette. La presse écrite s’épuise à courir derrière. Quand elle se saisit d’un sujet, l’indignation est déjà passée à autre chose. Pendant ce temps, combien de « vrais sujets », comme on dit, passent à l’as ? Combien de déb ats de fond tronqués, escamotés ? Le plan pauvreté, la réforme de la santé, le Brexit, le déficit budgétaire, voilà qui aurait mérité, dans une démocratie adulte, qu’on s’arrête un moment pour réfléchir, peser le pour et le contre, échanger des idées. Mais non, sitôt évoqués sitôt zappés. Trop lourds, trop compliqués, trop techniques. Pas le temps. Le philosophe Paul Virilio, récemment disparu, avait très bien analysé
comment l’immédiateté et la profusion de l’information engendrent un monde « hystérique » où le réel se dissout dans l’instant, et la réflexion dans l’émotion.
« Immédiaté et profusion de l’information engendrent un monde “hystérique” où le réel se dissout dans l’instant, et la réflexion dans l’émotion. »