Le jour où… La bataille d’Aegitna fit trembler terre et mer
Retour en l’an154 avant J.C : 10 000 Romains vengent le consul malmené par les Oxybiens
En alternance avec notre rubrique «Sous les pavés» le lundi, retrouvez « Le jour où... » retraçant un fait divers, un événement, une journée qui a marqué un tournant dans la cité des Remparts.
Venger l’affront dans le sang. Faire mordre la poussière à l’ennemi. Détruire ses biens, raser ses murs. Bref, le réduire à néant. Flaminius enrage. Sur son lit de douleur, à Massalia, où on soigne ses blessures, le consul romain se remémore l’outrage. Les maux physiques ne sont rien par rapport à la honte qu’il éprouve. Pourtant, tout avait si bien commencé. Bon, c’est vrai, il n’avait pas sauté de joie lorsqu’en cet an 559 de la puissante Rome, le Sénat lui avait présenté sa mission : lui et les consuls M. Popilius Laenas et L. Puppius devaient aller jouer les conciliateurs auprès des Ligures. Dans la Gaule rebelle. Plus précisément les tribus des Oxybiens et des Décéates établis en force en Ligurie, peu ou prou sur ce qui est aujourd’hui le littoral provençal et la Côte d’Azur. Les indigènes, comme les baptisent les Romains, s’agitent trop, beaucoup trop. Des ambassadeurs du comptoir phocéen Massalia, avec qui Rome commerce abondamment et cultive de bonnes relations, viennent en personne se plaindre. Les Massaliotes sont à bout. Ils subissent depuis longtemps attaque sur attaque. Avec piratage en règle de leurs embarcations. La crise est montée d’un cran. Leurs deux cités, Antipolis et Nikaïa, sont assiégées. Les sénateurs romains sursautent. Et font vite leurs comptes. Ces diables de Ligures risquent, si cela continue, d’entraver la circulation vers l’Espagne et mettre à mal l’équilibre économique maritime si patiemment établi. Il faut faire entendre raison aux Barbares! Mais pas par la force. Grand diplomate, le Sénat désigne donc ses légats pour jauger la situation, négocier et faire rentrer dans les rangs, si possible de l’Empire, les agitateurs. Et c’est ainsi, qu’un beau matin, Flaminius, M. Popilius Laenas et L. Puppius prennent la mer. Ils quittent Rome. Cap sur Aegitna, la ville portuaire capitale des Oxybiens. À bord du bateau qui les emporte, des serviteurs et les ambassadeurs massialotes. Mais pas de soldat. C’est bien la preuve qu’avant de batailler, on va parler. Oui, tout avait si bien commencé, se remémore Flaminius. Après quelques jours de navigation, la côte apparaît. Il se souvient d’avoir admiré ces deux îles Lero et Lerina. « Ambassadeurs de la paix », finalement, le titre lui plaisait. Inconscient qu’il était ! Alors qu’il vient de poser le pied sur la terre ferme, en compagnie de ses propres serviteurs, un groupe de Barbares surgit, menaçant. Ils empêchent les autres de débarquer. Ils ordonnent à Flaminius de partir. Il refuse et tente de s’expliquer. En vain. Ses esclaves et ses affranchis volent à son secours. Ils sont battus par les Ligures. Deux d’entre eux sont tués et Flaminius, qui voulaient les aider, est frappé à son tour. Il remonte à toute hâte dans le navire et fait couper les amarres, les câbles et les ancres. Un cauchemar. Les jours passent. Les plaies se referment. Mais la rage de Flaminius est intacte. Rétabli, il repart à Rome et proteste avec force. Il faut laver ce déshonneur dans le sang ! Cette fois, ce sera la guerre. Le Sénat expédie le consul Quintus Optimius Postumus, avec une armée de 10000 légionnaires. L’armée se met en marche, traverse les Appenins et franchit le fleuve Var pour la première fois. Un événement historique : les Romains sont entrés en Gaule ! Selon l’historien Polybe, le seul dont les écrits sur cette grande bataille ont été retrouvés, l’armée campe près d’un fleuve baptisé Apron. Non loin d’Antipolis. L’armée marche sur Aegitna, là où l’affront s’est produit. La ville est prise, ses habitants sont réduits à l’esclavage et les responsables de l’insulte aux consuls enchaînés et expédiés à Rome. Mais les Oxybiens n’en restent pas là. Quatre milles hommes sont réunis et lancent un assaut d’autant plus redoutable qu’il est désespéré. Les Barbares ont pris conscience de l’affront front. Les Romains marchent, au pas, résolument, vers les Oxybiens. Qui sont quasiment anéantis. Les survivants s’enfuient. Les Décéates finissent par arriver ! Trop tard. Courageux, ils unissent toutefois leurs forces avec les fuyards oxybiens et lancent une dernière attaque. C’est la Bérézina. Les rebelles, du moins ce qu’il en reste, se rendent. Aegitna est désormais aux mains des Romains. À Rome, Flaminius soupire d’aise. L’affront est lavé. Dans le sang, certes. Le consul Quintus, lui, est le nouveau maître des lieux. Tout auréolé d’avoir délivré Nikaïa puis Antipolis. Nous sommes en 154 avant Jésus-Christ et la bataille d’Aegitna marque le premier acte de la campagne de conquête de la Gaulle par les Romains.