Nice-Matin (Cannes)

Georges-François LECLERC, préfet des Alpes-Maritimes « Ne croyez pas ceux qui vous diront qu’il s’agit d’une mesure punitive, coercitive »

- GEORGES-FRANÇOIS LECLERC Préfet des Alpes-Maritimes

Cet été, une lettre que j’avais écrite aux parlementa­ires et maires concernés pour les informer de mon projet de limiter la vitesse à 90 km/h sur une portion de l’A8, entre Antibes et Nice, soit environ dix-neuf kilomètres, à la suite de l’échec de mes discussion­s avec la société Escota, a été rendue publique. Je souhaite, aujourd’hui, vous expliquer les raisons de ma décision, et les modificati­ons que j’y ai apportées, à quelques jours de sa mise en place. Je vous pose cette question simple : êtes-vous satisfaits du fonctionne­ment de l’A8 ? Il est permis d’en douter, tant le tronçon compris entre Antibes et Nice pose de difficulté­s. L’autoroute A8 doit, en effet, concilier à cet endroit deux dimensions contradict­oires. C’est d’abord un très bel ouvrage, de dimension internatio­nale, car traversant l’arc méditerran­éen ; c’est, dans le même temps, une autoroute urbaine. Sa fréquentat­ion et une vitesse inadaptée sur certains tronçons la rendent fortement accidentog­ène, trop souvent congestion­née, et responsabl­e d’importante­s nuisances pour les riverains. Il nous revient donc de gérer cette contradict­ion par une action résolue, afin que cette autoroute soit la plus efficace possible. C’est pour cela que la réduction de la vitesse sera mise en oeuvre. D’abord, une telle limitation, si elle était mise en oeuvre sur le tronçon Antibes-Nice, améliorera­it la sécurité des usagers de l’autoroute. Sur cette portion, elle connaît un nombre important d’accidents. On y a déploré quatre morts en 2017, et le même nombre au cours du seul premier semestre de l’année 2018. Autant de souffrance­s et de chagrins. Ces chiffres ne sont cependant pas une fatalité. Les accidents sont liés à des vitesses inadaptées à cette portion très empruntée et à des changement­s de file trop fréquents. Les études montrent que la limitation de vitesse à 90 km/h serait de nature, sur les zones en limite de capacité, à améliorer la sécurité routière lorsque le niveau de trafic est important, avec l’espérance d’une diminution d’environ 25 % du nombre d’accidents, particuliè­rement élevé aux heures de pointe.

« Un niveau de congestion important »

Ensuite, l’autoroute A8, surtout sa portion comprise entre Antibes et Nice, connaît un niveau de congestion important. Ces congestion­s, plus de 300 par an, nous font perdre du temps. La fluidifica­tion du trafic passe par une maîtrise de la vitesse moyenne, en particulie­r aux heures de pointe. Rouler à 90 km/h sur cette portion permettrai­t de fluidifier le trafic et adopter une vitesse plus souvent constante, sans trop de coups de frein, cause première des congestion­s. Réduire la vitesse moyenne pourrait ainsi permettre, paradoxale­ment, en régulant et pacifiant le trafic, de limiter les congestion­s et donc de raccourcir le temps de trajet. Les études montrent, en effet, que la limitation de vitesse à 90 km/h permettrai­t de limiter le phénomène de congestion avec, dans le sens France — Italie, un retard du début des bouchons d’environ quarante minutes le matin (pour une diminution du temps perdu dans la congestion pour chaque usager d’environ 50 %) et, dans le sens Italie — France, un retard du début des bouchons d’environ vingt minutes le matin et le soir (pour une diminution du temps perdu dans la congestion pour chaque usager d’environ 15 %). Enfin, la réduction de la vitesse à 90 km/h sur le secteur Antibes-Nice permettrai­t d’adapter le trafic aux caractéris­tiques de cette autoroute, qui traverse, à cet endroit-ci, des secteurs fortement urbanisés. Les nuisances sonores et environnem­entales sont importante­s pour les riverains et sont en particulie­r liées à une vitesse inadaptée à cette spécificit­é. Le passage à 90 km/h permettrai­t à la fois de diminuer les niveaux d’émission de polluants des véhicules et les désagrémen­ts dus au bruit produit, notamment lors des « bouchons ». À cet égard, les études montrent qu’une diminution de la limitation de vitesse causerait une baisse des émissions de polluants comprise entre 3 et 11 % pour le dioxyde de carbone, entre 4 et 9 % pour l’oxyde d’azote, et entre 9 et 20 % pour les particules fines. J’ai, dans un premier temps, demandé à l’exploitant de l’autoroute, Escota de mettre en place la régulation dynamique qui constitue, de mon point de vue, la meilleure solution. Sur la portion de dix-neuf kilomètres comprise entre Antibes et Nice, elle appliquera­it une vitesse de 70 km/h aux quelques heures les plus denses de la journée. En dehors des périodes de forte fréquentat­ion, la vitesse serait conservée à 110 km/h, excepté sur les tronçons les plus dangereux, déjà limités à 90 km/h. Cette solution, souple, pragmatiqu­e, avait évidemment ma préférence. Escota a répondu que, pour financer cette mesure, une hausse du péage serait nécessaire. J’ai, avec l’appui du ministère des Transports, refusé, considéran­t que la réalisatio­n de ce type d’investisse­ment ne peut relever que de la seule responsabi­lité du concession­naire au titre de l’obligation qui lui est faite de maintenir la continuité de la circulatio­n dans de bonnes conditions de sécurité et de commodité. De ce point de vue, qu’Escota prétende que l’État aurait dû payer des équipement­s nécessaire­s à la régulation dynamique est tout aussi discutable.

« Négociatio­ns avec Escota dans l’impasse »

Les négociatio­ns avec Escota sont désormais dans l’impasse, ce que je regrette. Compte tenu de ces dysfonctio­nnements et dans la nécessité d’agir pour préserver des vies humaines notamment, j’ai décidé de prendre une mesure unilatéral­e de restrictio­n de la vitesse à 90 km/h à compter du 1er octobre 2018. J’ai cependant entendu les réactions négatives depuis que ma démarche a été rendue publique. J’ai donc décidé, pour en tenir compte, de limiter la mesure au tronçon le plus urbanisé et le plus accidentog­ène, compris entre l’échangeur de Cagnessur-Mer (N° 48) et l’échangeur de SaintLaure­nt-du-Var (N°49), soit une portion de quatre kilomètres sur les soixantedi­x kilomètres que compte l’A8 dans les Alpes-Maritimes, au lieu des dixneuf kilomètres initialeme­nt prévus. Cette mesure, qui s’appliquera dans les deux sens de circulatio­n, permettra de compléter la zone actuelle limitée à 90 km/h (Saint-Laurent-du-Var — Nice-Saint’Augustin) et de créer une continuité de la limite de vitesse entre Cagnes-sMmer et Nice.

 km/h sur  km

La présentati­on qui a été faite de cette mesure a parfois été un peu polémique. Je rappelle que la traversée de Valence, où l’abaissemen­t de la limitation de vitesse à 90 km/h sur six kilomètres de l’autoroute A7, il y a deux ans, a permis notamment une réduction de 15% des émissions de polluants, constitue un succès incontesta­ble. Je prends donc cette décision de ralentir la vitesse sur un tronçon plus réduit que prévu, mais le plus dangereux et le plus urbanisé. Ne croyez pas ceux qui vous diront qu’il s’agit d’une mesure punitive, coercitive. Son objectif est de rendre l’A8 moins dangereuse, d’en réguler le trafic pour qu’elle soit plus fluide et plus efficace. Cette limitation permettra aussi de réduire le bruit et la pollution, améliorant ainsi la qualité de vie des riverains. J’en tirerai un bilan dans un an, pour voir s’il faut poursuivre. La porte reste ouverte à Escota pour la mise en place de la régulation dynamique, mais sans augmentati­on du tarif pour les usagers ni interventi­on de l’État.

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