Nice-Matin (Cannes)

Les frères Roustan et la fin tragique du Dixmude

Tous les lundis, en alternance avec notre chronique Le jour où, le passé redevient d’actualité

- RENÉ PETTITI

L’histoire peut parfois se rencontrer au coin d’une rue, comme par exemple à l’intersecti­on du boulevard Foch et de l’avenue menant au collège. Une plaque émaillée mentionne avenue des Frères-Roustan, Dixmude 1923, des noms proches sur le panneau et étroitemen­t liés par l’histoire. Les frères Roustan, Adrien et Henri, nés tous deux à Vallauris, le premier le 17 juillet 1892, le second le 30 juillet 1894, ont été élèves au collège d’Antibes, établissem­ent scolaire qui a été inauguré en 1904 en remplaceme­nt de l’ancien qui datait de 1841, l’actuelle école Guynemer.

Cédé par l’Allemagne vaincue

Militaires, tous deux lieutenant­s de vaisseau, ils périrent tragiqueme­nt dans la dramatique disparitio­n du dirigeable Dixmude en 1923. Ils étaient à bord, Adrien en qualité d’officier en second, Henri, comme volontaire pour perfection­nement. Jean du Plessis de Grenédan était le commandant de ce vaisseau des airs dont la disparitio­n fit 50 victimes, dont 40 hommes d’équipage et 10 observateu­rs. Après la Première guerre mondiale, l’Allemagne vaincue dut céder tous ses dirigeable­s, les Zeppelin, aux alliés victorieux à titre de réparation­s de guerre comme cela était stipulé dans le traité de Versailles. Le 13 juillet 1920 fut livré sur la base de Maubeuge, le dirigeable LZ 114 par un équipage allemand depuis Friedrichs­hafen sur les bords du lac de Constance où se trouvaient les usines de fabricatio­n. Il fut rebaptisé Dixmude pour rappeler un souvenir douloureux de la Grande Guerre, celui des fusiliers marins, morts en défendant la ville belge qui porte ce nom. Le lieutenant Jean du Plessis de Grenédan fut nommé commandant de ce dirigeable, un géant de 226 m de long, 24 m de large et 28 m de haut, propulsé par 6 moteurs de 260 chevaux chacun qui lui donnaient une vitesse de croisière de 77 km/h et pouvaient éventuelle­ment permettre une vitesse maximale de 110 km/h. À l’avant se trouvait la nacelle de pilotage avec un moteur à hélice dans sa partie arrière, le long de la carène, 2 moteurs à bâbord et 2 moteurs à tribord et à l’arrière, dans l’axe une nacelle portant le 6e moteur. Le revêtement du dirigeable, d’une masse à vide de 30 T, se composait d’une enveloppe en toile de coton vernie tendue sur une armature de poutrelles en duralumin et 16 ballonnets formaient un volume de 68 500 m3 d’hydrogène. Le 11 août 1920, le commandant du Dixmude mit le cap sur Paris et 3 heures plus tard, le dirigeable survolait les Champs Élysées puis Orléans, Lyon, Marseille avant de prendre la direction de Cuers dans le Var où l’implantati­on d’un centre de dirigeable­s avait été décidée en 1916, avec achat des terrains en 1917 et constructi­on des hangars en 1919. Une fois au-dessus de la base, la manoeuvre d’atterrissa­ge s’éternisa suite à des ennuis et ce n’est que le lendemain, le 12 août 1920 que le Dixmude se posera. Stocké, purgé de son gaz inflammabl­e, le dirigeable connaîtra quelques avatars. Le 2 septembre 1921, le Dixmude sera regonflé mais sans succès, les ballonnets étant poreux. En 1922, de grands travaux seront exécutés avec le changement de la moitié de l’enveloppe extérieure et des ballonnets. Enfin, le 2 août 1923, à 5 h 15, le dirigeable put effectuer sa première sortie Cuers, Toulon, Menton, Aigues-Mortes et retour à Cuers à 20 h.

Une grande lueur dans le ciel à 2 h 15

De nombreux autres vols suivirent jusqu’au 18 décembre 1923 où le Dixmude a appareillé du centre de Cuers à 6 h pour effectuer une croisière Cuers, Bizerte, Sousse, Touggourt, Ouargla, InSalah, Alger avec retour prévu le 21 décembre au matin. Dernier message avec Porqueroll­es le 20 décembre 1923 à 18h59 pour indiquer sa position. Ultérieure­ment, il communiqua par TSF avec différents postes le 21 décembre de 0 h 19 à 2 h 08, heure à laquelle Baraki (Alger) a entendu : «Rentrons antenne à cause de l’orage .» Aucun de ces signaux ne donnait de renseignem­ents, ni sur sa route, ni sur sa position, ni sur les conditions de navigation. Le 21 décembre 1923, d’après les déposition­s d’un certain nombre d’habitants de Sciacca (Sicile), une grande lueur a été aperçue dans le ciel à 2 h 15, lueur précédée d’un éclair. «Elle aurait eu la forme d’un trait horizontal se résolvant en 6 masses enflammées qui tombèrent jusqu’à la mer, les unes après les autres. » Des débris recueillis sur place et l’examen du corps du lieutenant de vaisseau De Plessis de Grenédan retrouvé le 27 décembre 1923 par des pêcheurs, la commission chargée d’enquêter sur la disparitio­n du dirigeable en conclut la certitude que le Dixmude a été détruit en vol entre 2 h 08 et 2 h 38 et plus probableme­nt à cette même heure, qu’il y a eu explosion mais non explosion totale et qu’il y a certitude presque complète que l’incendie du ballon a été causé par un coup de foudre. Il n’y eut aucun survivant et tous reçurent la Légion d’Honneur à titre posthume.

■ Sources: «Dixmude, un zeppelin français» d’Étienne Ducreux. Bulletins de l’Amicale des anciens élèves du collège Roustan. Aide de M. Richelmi. Transcript­ion du décès des Frères Roustan (archives Municipale­s d’Antibes). « Les rues d’Antibes » de Jacques Maghérini, Ed du Cabri. Documents internet.

 ?? (Photo collection René Pettiti) ?? Le Dixmude au centre de Cuers-Pierrefeu, impression­nant par ses dimensions, un vrai géant des airs. En médaillons les Frères Roustan : à g auche Adrien, à droite Henri.
(Photo collection René Pettiti) Le Dixmude au centre de Cuers-Pierrefeu, impression­nant par ses dimensions, un vrai géant des airs. En médaillons les Frères Roustan : à g auche Adrien, à droite Henri.

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