Nice-Matin (Cannes)

BASKET « Trop exigeant, moi ? »

18 ans pile après la finale des JO de Sydney face aux USA, Laurent Sciarra, meilleur marqueur de cette finale, se souvient. Le Niçois évoque aussi sa relation avec ce difficile métier d’entraîneur

- FRANÇOIS PATURLE

Huit fois meilleur paseur de ProA, meilleur passeur de l’histoire du championna­t, MVP en 2003 et 2005, champion de France avec Paris... Laurent Sciarra, le Niçois, qui débuta au Cavigal et à l’ASPTT Nice, avant de mettre le cap sur HyèresToul­on, fut ce joueur rare, à la fois scoreur et qui savait rendre les autres meilleurs. Un meneur qui nous fit rêver, aussi, sous le maillot de l’équipe de France. C’est à l’occasion de la Fête du sport, organisée par le Stade Laurentin, que nous l’avons retrouvé. Laurent Sciarra s’est confié avec sa franchise coutumière. A 45 ans, père d’un garçon déjà grand, il a décidé pour l’instant de se mettre en retrait de ses activités médiatique­s et d’entraîneur. « Je profite de la vie, c’est une chance ».

Laurent , il y a juste  ans, le er octobre , la France jouait la finale des JO face aux USA...

Ça me paraît loin et en même temps , c’est vrai que je n’ai rien oublié ! On ne peut pas résumer  ans de carrière à une compétitio­n. Mais c’est évidemment un souvenir très particulie­r.

Dans quel état d’esprit l’équipe de France s’étaitelle présentée à Sydney ?

On sortait d’une grosse préparatio­n physique, un mois à Biarritz, avec le grand Jean-Pierre Egger, qui au final fut prépondéra­nte. Mais en arrivant en Australie, en vérité, ce

‘‘ n’était pas la joie... On en avait pris  contre les Serbes lors du dernier match de préparatio­n à Wollogong. Un lieu magnifique, au bord du Pacifique, la carte postale. Mais nous, ça chauffait à l’entraîneme­nt entre les titulaires et les autres. Quand on est arrivé à Sydney, le coach De Vincenzi a pris la décision radicale de supprimer toutes les opposition­s. Ça devenait trop risqué.

Il y eut un déclic ?

En fait, dans le sport, tu peux tout analyser, établir des théories, etc., mais il y a aussi une part d’irrationne­l. C’est comme l’équipe de France de foot en Russie... Ça ne devait pas les amuser, les mecs, au début, de faire de la bouillie de foot... Je reviens à Sydney : contre la Chine , Antoine (Rigaudeau) et Lolo (Foirest) font un grand match. On se qualifie, ric rac. Et puis il y a le coup du destin : le Canada bat la Serbie en poule, et on se retrouve contre le Canada en quarts. Contre les Serbes on aurait explosé comme du pop-corn ! Après, c’était quand même le Canada de Steve Nash, Meeks, Barret, Mc Cullough. Mais ce n’était pas pareil dans les têtes. On se disait qu’on avait une chance. Et voilà, on sort un vrai gros match, en équipe.

C’est durant ce quart de finale que Yann Bonato se rompt le talon d’Achille...

Oui. Yann choisit alors de rentrer tout de suite en France. Le matin de la demie France - Australie, je l’accompagne jusqu’à l’ambulance pour l’aéroport. Il me dit : ‘’Gros , tu te démerdes comme tu veux , mais tu me ramènes une médaille au pays. Le métal , je m’en fous , mais tu me ramènes une médaille.’’ Après, on tombe en larmes, parce que c’est Yann, un mec pour qui j’aurai toujours de l’affection, de l’amour, comme Lolo Foirest. Comme disent les jeunes de maintenant, ce sont mes gars.

En demie, vous créez la sensation en écrasant l’Australie de Longley, Gaze, Heal... Et puis c’est la finale contre la Dream Team, un dimanche à h. Quand vous rentrez sur le parquet face à Jason Kidd, Gary Payton, Vince Carter, Kevin Garnett et les autres, vous ressentez quoi ?

On était presque habitués, on les avait joués en poule ! (sourire ). Tu te dis, regarde déjà d’où tu viens, toi ! Le lycée Pasteur, à Nice. J’ai toujours été un fondu de basket, de sport en général, et tu fais les JO. Pendant la compétitio­n , j’avais appelé à la maison. Au début, je ne jouais pas beaucoup, j’avais l’esprit compétiteu­r. Mon père m’avait dit : «Écoute, je comprends que tu sois déçu , mais pense à profiter, régaletoi !». Ma grand-mère disait la même chose. Les JO, on ne sait jamais si on va les refaire. Ils avaient raison...

En finale, donc, les USA font la course en tête. A  minutes de la fin, T de Rigaudeau : la France revient à - . Tomjanovic­h prend temps mort...

Il m’est arrivé d’y repenser . Si on avait mieux négocié ces  petites minutes... Si on avait été champions olympiques ? Qu’aurait été ma vie ? A cet instant , on s’est dit , ils peuvent craquer. Mais on a oublié une seule chose, qui a toujours fait la force des Américains, la dimension athlétique... Sur les deux rebonds qui suivent, je vois Carter, Garnett, ils décollent, ils se jettent comme des chiens ! Mon bon Jim, l’équipier le plus extraordin­aire que j’ai côtoyé, il ne pouvait pas tout bloquer. Les Ricains sont repassés à + , on a lâché dans les têtes. On était à la fois pas loin et très loin. Y at-on assez cru ? Sans doute pas.

Le meilleur marqueur de la finale, c’est vous ( pts). A partir du e match , vous êtes à chaque fois le meilleur marqueur des Bleus... Quel contraste avec le début des JO !

Avant les Jeux, le coach m’avait fait comprendre qu’il ne comptait pas sur moi… Mais un tournoi, c’est long. Le basket, c’est con, c’est un sport d’adresse. Vous rentrez un shoot, un deuxième, la confiance arrive, et ça s’enclenche. A un moment, les doutes volent en éclat, et surtout, vous sentez la confiance de vos équipiers. Et ça, ça change tout.

A l’arrivée, il se dit que des franchises NBA vous ont fait des propositio­ns... En effet... Lesquelles ? Phoenix, Seattle et Toronto, je crois, juste après les JO, étaient intéressés. Je n’ai pas donné suite. J’avais donné ma parole à l’ASVEL, où j’allais jouer avec mon ami Yann Bonato… Au niveau européen, je n’ai jamais eu d’énormes propositio­ns. Peut-être parce que je n’ai jamais travaillé avec des agents et qu’en raison de ma personnali­té, de mon caractère, les gens se disaient, il ne doit pas être facile à coacher, il va être un peu pénible. Ce que je peux concevoir. C’est vrai que j’ai pu donner cette image-là.

Des regrets, sur la NBA ?

Mon jeu ne correspond­ait pas à la NBA, il faut être honnête. Après, j’ai fait des choix. Moi, c’était plus à l’affect. Le discours d’un dirigeant, d’un coach, et c’était parti… Ce n’était pas que les sous. J’ai toujours négocié en direct, puisque je n’avais pas d’agent, juste un avocat. C’est ce qui m’a fermé des portes, avec le recul, je le sais bien. Mais j’étais ainsi. J’ai toujours prôné ma liberté, et j’étais bien comme ça. À l’époque, le Kinder Bologne, le Pana, le Barça, Madrid, Trévise, c’était de ça dont je rêvais le plus.

Votre carrière d’entraîneur : en -, vous claquez la porte d’Evreux. Pourquoi ?

Quand j’ai senti que les mecs (les joueurs) ne me suivaient plus, j’ai préféré arrêter. Un club, c’est des gens qui bossent, des salariés, il y a des conséquenc­es. J’ai dit au président, vous me donnez ce que vous me devez cette année, je fais cadeau de l’année suivante, et basta. Lui ne voulait pas, mais c’était la bonne décision.

Cette fonction de coach ?

Le plus dur, le plus important, c’est le casting. C’est %… et même quand tu t’es renseigné, que tu connais les mecs, même quand il t’a promis, même quand il t’a juré, qu’il va arriver en forme, etc., bizarremen­t, la veille, ou le jour même, il y a toujours une couille... Et moi, j’ai cette mauvaise habitude, quand tu arrives le premier jour, que tu es gros, pas affûté, ça veut dire que tu m’as menti, et on ne peut pas fonctionne­r… Je suis assez radical, c’est vrai.

On vous a reproché une forme d’intransige­ance...

Sa place, il faut la mériter. Il y a des mecs qui n’ont pas encore percé en Pro B et qui s’imaginent en NBA. Je ne suis pas très fan de stats, mais un gars qui fait  d’évaluation en Pro B, il faut lui donner  euros par mois? Tu es fou ou quoi ? Ceux qui ont pris le pouvoir, ce sont les agents, il ne faut pas se leurrer. A la fin du mois, pas de souci, ils mangent.

Avez-vous tiré une croix sur ce métier de coach ?

Je ne suis pas loin de vous répondre oui. Ce qui me revient toujours aux oreilles, en effet, c’est que je suis trop exigeant. Mais il suffit qu’un coach avec un nom en ‘’ic’’ arrive, on va dire, putain, il est dur, et là tous les mecs ils vont fermer leur gueule… Ce qui m’intéressai­t comme joueur, c’était de gagner des choses et de prendre du plaisir. Moi, j’ai fini par penser à ma santé. Entraîneur, tu ne débranches jamais. Tu ne laisses jamais tes soucis au bureau. Il faut aussi penser à ta famille, à la femme qui vit avec toi.

La Pro A, vous la suivez ?

Oui, je la trouve plutôt intéressan­te. Ce serait bien que nos clubs fassent des résultats en Europe, avec une vraie locomotive.

Un joueur qui vous plaît ?

Paul Lacombe, le Monégasque. Je ne le connais pas, mais il a ce don pour faire plein de choses sur un parquet. Et en plus, il continue de progresser, preuve qu’il se donne vraiment à fond.

 ?? (Photo F. P.) ??
(Photo F. P.)
 ?? (Photo AFP) ??
(Photo AFP)

Newspapers in French

Newspapers from France