Nice-Matin (Cannes)

Les fantômes du vieux monde

- DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

N’en déplaise à Emmanuel Macron, il flotte ces jours-ci sur la politique française un parfum de vieux monde. L’affaire Benalla avait déjà réveillé le spectre des scandales d’hier et d’avant-hier et, du coup, avait balayé l’idée d’une présidence auto-proclamée vertueuse. Les atermoieme­nts du pouvoir face à la démission de Nicolas Hulot et surtout de Gérard Collomb ont accéléré cette impression de déjà-vu et d’un futur qui se fait rattraper par le passé. On peut donc proclamer qu’on inaugure un nouveau monde, jeter aux orties ses prédécesse­urs, expliquer à longueur

de journée que personne jusque-là n’avait osé se lancer dans une telle transforma­tion de la France et se retrouver du jour au lendemain dans un vieux film, pris dans les mêmes difficulté­s que tous ceux qui vous ont précédé. Depuis quelques jours, Emmanuel Macron s’est banalisé. On ne voit plus vraiment « sa » différence et on commence à prendre la mesure des limites de ce pouvoir qui prétendait ne ressembler à nul autre. On nous expliquera évidemment que le remaniemen­t à venir exigeait du sérieux et que le

temps pris en donne la mesure. Message du pouvoir : nous ne confondons pas vitesse et précipitat­ion. Quelle blague ! En vérité, sûr de son

« Depuis quelques jours, Emmanuel Macron s’est banalisé. »

autorité, de son charisme et de son fait, le chef de l’Etat n’a pas vu arriver les démissions de ses deux ministres d’Etat. Il a été pris de court par Hulot et Collomb. Pareil coup de Trafalgar n’avait plus eu lieu depuis la démission

de Jacques Chirac de ses fonctions de Premier ministre en août . Cette rupture avec Valéry Giscard d’Estaing fut un événement considérab­le qui conduisit à la défaite de VGE en  et bouleversa la donne de la droite française. Naturellem­ent, le séisme provoqué par les démissions de Hulot et Collomb, au nez et à la barbe d’Emmanuel Macron, n’est pas du tout de la même ampleur. Mais il laissera des traces. D’abord, il casse le mirage macronien du nouveau monde, finalement peu différent du précédent. Ensuite, il fragilise la posture jupitérien­ne du Président. D’une part, l’autorité qu’il revendiqua­it est sérieuseme­nt entamée : quel est ce chef qui ne contrôle pas ses ministres ! D’autre part, l’opération « proximité » lancée en septembre pour en finir avec l’accusation de mépris et d’arrogance conduit le chef de l’Etat à faire de grands écarts avec la position altière qu’il revendique. Bref, le voici dans une situation peut-être pas encore critique mais qui donne un grand coup de vieux à une modernité qui n’est donc pas une simple question de jeunesse.

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