Sous les pavés Pierre Devoluy, l’homme qui voulut sauver les remparts
Tous les lundis, en alternance avec notre chronique le passé redevient d’actualité
Le nom de Pierre Devoluy a été donné à plusieurs rues ou places de maintes localités du sud de la France : Châtillon-enDiois, Arles, Nîmes, Toulon, Grasse, Nice, cela pour rendre hommage à un être exceptionnel, un homme simple et brillant qui n’a pourtant pas la notoriété qu’il mérite auprès du grand public. Pour beaucoup, c’est même un inconnu. Il a occupé une place importante au sein du Félibrige et dans le monde de la poésie et du roman. Pierre Gros-Long dit Pierre Devoluy vit le jour en terre protestante à Châtillon-en-Diois, le 27 juin 1862, dans une famille où l’on maîtrisait parfaitement notre langue et fut élevé dans la pure tradition française. Il fit des études à Castres, avec comme condisciple Gaston Doumergue, futur président de la République, fut lycéen à Nîmes où il prépara l’école polytechnique. Admis, il choisit le génie comme arme et fut affecté à Fontainebleau puis première garnison à Arras. C’est dans cette ville qu’il se lancera dans la littérature au sein du mouvement symboliste. Pour se livrer à cette activité, Pierre GrosLong deviendra Pierre Devoluy, changement de nom qui lui permettra d’écrire en toute liberté et de faire paraître ici et là ses poèmes sans crainte, sous l’impulsion de René Ghil, principal acteur de ce mouvement symboliste.
Sauver l’oeuvre de ses prédécesseurs
A partir de 1890, affectations uniquement dans des garnisons méridionales avec Montpellier en premier lieu. C’est dans cette ville qu’il quittera le symbolisme pour entrer dans le mouvement félibréen qu’il découvrira après avoir publié sa première poésie en provençal. En 1891, il sera affecté à Antibes, ville qui comptait alors 10 000 habitants avec le grade de capitaine en second. Notre cité n’occupait plus la place de ville frontière avec ses imposantes fortifications depuis 1860, date du rattachement de Nice à la France. Cette enceinte fortifiée, devenue un obstacle au développement de la ville, était un sérieux handicap par rapport à ses voisines, Cannes et Nice, qui connaissaient un essor important avec l’arrivée du tourisme et même par rapport à Golfe-Juan qui s’y ouvrait également. La majorité des Antibois souhaitait le démantèlement des remparts. Le maire de la ville, Robert Soleau, joua de son influence pour mener à bien ce projet. Mais un groupuscule d’intellectuels y fut tout à fait hostile: Théodore Hallo, Charles Guillaumont, Guy de Maupassant, Paul Arène et évidemment Pierre Devoluy. Ce dernier, militaire, pensait que détruire les remparts, c’était détruire l’oeuvre de ses prédécesseurs et les Félibres estimaient qu’on voulait réduire à néant le patrimoine provençal d’Antibes. Ils étaient trop peu nombreux bien qu’aidés par certains journaux locaux pour avoir gain de cause. Ce qu’ils déploraient surtout, c’était l’utilisation de la dynamite qui saccageait le passé historique de la vieille Antipolis. Les Félibres firent appel à Frédéric Mistral pour qu’il intervienne auprès du ministre des Beaux Arts pour faire cesser le saccage. Pierre Devoluy écrivit un article très virulent, très polémique que Mistral publia. Cela entraîna un arrêt momentané des destructions et la fin de l’utilisation des explosifs permit de sauver ce qui pouvait encore l’être. Devoluy eut un rôle important dans ce groupe de résistance, chose que beaucoup de gens ignorent. Ce ne serait que justice que son nom et son influence soient connus du public. La pose d’une plaque sur les remparts rappelant son action a été demandée à la municipalité antiboise mais cette requête est restée pour l’instant sans réponse. Après cette garnison à Antibes et tous les efforts déployés, Pierre Devoluy sera affecté en Avignon où il aura la chance de rencontrer « Le Seigneur », Frédéric Mistral, qui comprendra très vite les qualités exceptionnelles de cet homme qui ne pourraient qu’être utiles et bénéfiques au Félibrige. Aussi, après le décès du capoulié (gardien de la coupe, symbole du félibrige) en place, en 1901, Mistral fera tout pour faire attribuer ce poste à son favori, Devoluy, qui lui semblait avoir toutes les qualités requises pour réussir brillamment dans cette fonction. Il fut aidé aussi dans cette démarche par les jeunes qui voulaient que le Félibrige soit un mouvement social et non uniquement littéraire et qu’il fallait à sa tête un capoulié énergique, déterminé et actif.
L’un des créateurs du CUM de Nice
Pierre Devoluy fut élu à cette fonction le 21 avril 1901 et il put alors développer ses idées pour défendre la langue et la culture provençales et éviter ainsi « un Félibrige inopérant ». Il le réorganisa en 1905 pour en faire un grand mouvement d’éducation aux valeurs de la langue et de l’histoire. Ses idées et ses réformes envisagées entraîneront quantité d’oppositions internes qui connaîtront leur summum en 1909 et qui le conduiront à quitter cette fonction. Il prit sa retraite à Nice le 1er janvier 1920 avec le grade de colonel. Il se fit alors romancier des Cévennes protestantes au travers d’une trilogie : « La Cévenne embrasée », remit à l’honneur des psaumes huguenots et exerça même les fonctions d’adjoint au maire de Nice, Jean Médecin. Il participa de ce fait à la création du Centre Universitaire Méditerranéen et collabora régulièrement au journal L’Éclaireur de Nice de 1919 à 1932. Il y publia plus de 600 articles. Belle récompense d’une vie active, riche d’idées et de réalisations, il fut fait Commandeur de la Légion d’Honneur en 1920 et c’est le 6 mars 1932 qu’il mourut à Nice au 35, Boulevard Carabacel. Il sera inhumé au cimetière protestant de Châtillon en Diois. ■ Sources: Documents de Pierre Fabre (ancien capoulié) et documents Internet.