Toute une vie sur le fil
Meilleur Ouvrier de France en 1968, elle a aussi oeuvré pour la promotion des métiers d’art
Ses étonnants tapis ornent encore des hôtels de luxe, une villa du cap d’Antibes, un salon de Marina Picasso, le mur de la chapelle Saint-Esprit où se tiennent les conseils municipaux... Faits main. Créer pour durer. Mais leur auteur est discret. Pour trouver sa marque, il faut retourner un coin de l’épais tissu. Des initiales se découvrent : M.A pour Marguerite Arnaud. Parfois, les lettres voisinent avec celles de R.C. Pour Roger Charlier, le maître tisserand qui lui a tout appris. Sur son métier faire et défaire. Cent fois, remettre son ouvrage. C’était en 1950. Dans l’atelier de la rue Gambetta où elle est entrée, jeunette, presque par hasard. Le temps a filé. A la vitesse d’une navette... spatiale. Sur des fuseaux (horaires) inconnus. Dans la maisonnette des Terres Blanches où elle est née, à l’époque où l’on cultivait les fleurs, Marguerite a tout conservé. De ses doigts agiles et forts, elle extirpe dans les albums et les dossiers, photos et documents. La voici, même élégant chignon ramené à l’arrière, posant devant son métier pour un article de Nice-Matin. Année 1968 : Marguerite Arnaud remporte la médaille d’or du Meilleur Ouvrier de France. Un sacre quasi royal en cette année révolutionnaire pour sa pièce maîtresse : « La Savonnerie ». Un médaillon central encadré par deux bandes en relief bordeaux et or sur un fond vert Empire, bordé de vert amande. Une surface de 2 534 m2 décorée aux quatre coins par des acanthes or et rouge. Un peu plus de 300 heures de travail et 82 000 points noués. « Passer ce concours à cette époque a été tout une aventure. Même les cordons tricolores des médailles étaient rationnés ! » sourit Marguerite. Un titre de MOF, pas mal pour quelqu’un qui n’y connaissait rien en tissage. « J’ai découvert cette maison de tissage à la main, 11 avenue Gambetta par l’intermédiaire d’une amie qui connaissait la propriétaire. Son époux, M. Charlier, construisait son atelier et cherchait une personne pour lui apprendre à travailler. Je savais juste un peu coudre. Je suis entrée comme apprentie... J’ai découvert que c’était difficile et donc très intéressant. J’ai résisté. J’ai fait et défait plus d’une fois mon travail... Nous tissions au point noué des tapisseries sur métier de haute lisse, des tapis ciselés à deux hauteurs de velours sur métier Jacquard.» Autant de pièces uniques, de toutes les dimensions, coloris et dessins. « C’était au choix des clients, des décorateurs, des maisons d’ameublement, des particuliers...» Mais, déjà la concurrence des tapis conçus de manière mécanique, donc plus rapidement et surtout moins coûteux, se fait sentir. Encouragée par son titre, soucieuse de promouvoir le savoir-faire artisanal, Marguerite rejoint la section départementale des MOF en 1972. Sept ans plus tard, elle est officiellement nommée commissaire pour les concours. Un poste qu’elle occupera jusqu’en 2001. « Entourés de mes collèges, nous avons organisé six expositions pour la sélection des candidats. Les MOF rassemblent 220 professions. C’était beaucoup de courriers, de réunions... Aujourd’hui, il y a les ordinateurs, internet... Ce n’est pas pareil. On perd le contact. À l’époque, c’était une lourde charge que j’ai assumée en même temps que mon travail. Aujourd’hui, les 35 heures, ça me fait rire. Durant toutes ces années, j’ai appris beaucoup. » Son excellence professionnelle et son engagement lui valent d’être chevalier de l’ordre du Mérite et officier de la Légion d’honneur. Elle a aussi été administrateur à la chambre des métiers. Après la mort de Roger Charlier, en 1988, Marguerite tiendra, seule, l’atelier jusqu’en 1994. Tout un pan de patrimoine qui se défait. « J’ai transmis des documents aux archives municipales mais le grand métier a dû être démonté. » Que reste-t-il de cet art du tissage ? Marguerite soupire : « Je n’ai pas pu le transmettre à un apprenti. On ne peut plus gagner sa vie et ce travail est exigeant. Cela n’intéresse pas les jeunes. »