Nice-Matin (Cannes)

Famille séquestrée à Sospel : quatre agresseurs condamnés

- CHRISTOPHE CIRONE

« Depuis, je fais des cauchemars. J’ai peur des hommes en général. J’ai peur d’être dehors. J’ai peur de tout… » Alicia a beau avoir peur, elle témoigne d’un cran qui force le respect. Il en faut du courage, à 17 ans, pour venir défier ces hommes qui lui ont «pourri la vie». Le 7 août dernier, à 7h15 du matin, trois intrus ont fait irruption dans la maison de Sospel où se trouvaient une mère de famille et trois jeunes filles. S’en est suivie une scène «d’une violence inouïe», dixit Laurie Duca, présidente du tribunal correction­nel de Nice. Trois mois plus tard, ce dernier a condamné les auteurs de cette équipée sauvage. «Les codes, les codes!» Ce matin-là, ces injonction­s résonnent avec force dans cette propriété agricole excentrée. Les malfrats en veulent au coffre. Ou plutôt aux deux coffres. Sandy, la maman, est terrorisée. Elle n’a pas cru ce visiteur qui dit «venir pour l’électricit­é». Ses gants noirs, l’heure matinale, tout cela ne lui disait rien de bon. Mais elle n’a rien pu faire quand lui et ses comparses ont forcé la porte. L’effrayant trio conduit Sandy dans la chambre. «Ils me demandent d’ouvrir le coffre. Dans la panique, je n’y arrive pas», raconte-t-elle fébrilemen­t. Après une première audience le 15 octobre (1), elle aussi vient à nouveau braver ses agresseurs. Évoquer cette interminab­le demi-heure d’angoisse, ponctuée de cet insupporta­ble chantage: «Si tu fais le code, on touchera pas à tes enfants…» Alicia est alors sous surveillan­ce avec sa soeur Victoria, 11 ans. Par chance, la cadette, 4 ans, ne s’est pas réveillée. Yoann, le papa, trime alors au marché du Careï. Celui-là même où travaille Djamel, 44 ans. Deux ans plus tôt, Djamel a été généreusem­ent hébergé par cette famille d’exploitant­s agricoles. Mais un conflit d’ordre commercial les a brouillés. Djamel leur voue une rancoeur tenace. Et pour Sandy, la vie est devenue «insupporta­ble. Harcèlemen­t, menaces de mort, cambriolag­es… Depuis deux ans, ça n’arrête pas!» Djamel est-il derrière la séquestrat­ion du 7 août ? A-t-il mis de jeunes inconscien­ts sur la piste d’un magot imaginaire, en leur vantant un coffre soidisant rempli d’espèces? Le tribunal cherche à l’établir, après le joli coup de filet de la brigade de recherches de Menton. Djamel, lui, nie en bloc. Et retourne l’argument du litige à son profit: «Je suis la bonne cible». Les jeunes prévenus seraient, quant à eux, bien en peine de nier leur implicatio­n. Ils ne s’y risquent pas. Marwane Abdelmalek a été identifié le premier, au volant d’un fourgon surpris aux abords du domicile. L’examen de la téléphonie a mené les enquêteurs jusqu’à Dylan Hoang, militaire à Canjuers, tout comme Babacar Barro. Tous trois ont 33 ans. Borhane Bouhouche, 34 ans, est la «porte d’entrée» qui amène le funeste projet. «M. Bouhouche m’a parlé d’une maison où il y avait des sous à se faire. Il m’a dit qu’il y avait deux coffres et que la famille serait absente», confesse Babacar Barro, qui s’excuse auprès des victimes comme auprès des siens. La présidente doit secouer les autres et rappeler leurs aveux en garde à vue pour obtenir une version crédible. Elle rappelle que Sandy, quoi qu’ils en disent, a bel et bien été ligotée.

«Inspirateu­r oui, mais…»

Le coup a-t-il été fomenté depuis Marseille? Borhane Bouhouche assure que non: «Je n’en ai parlé que sur la promenade des Anglais.» Il réfute les repérages, s’efforce de distiller un sentiment d’impréparat­ion: «On l’a fait sur un coup de tête. On en a parlé le soir, on l’a fait le lendemain.» Prémédité ou improvisé? La présidente se demande «quelle version est la plus effrayante…» «La réalité des faits, c’est une opération minutieuse­ment préparée, un déchaîneme­nt de violence» ,assèneMe Jean-Raphaël Demarchi, partie civile. Depuis, Sandy vit «terrée chez elle. Ils ont volé une part d’insoucianc­e, de joie de vivre, pas seulement une tablette et un vidéo projecteur.» Tel est en effet, avec une enveloppe de 300 ou 400 euros, le navrant butin de l’histoire. Bien cher payé pour les victimes, prêtes à déménager vers des horizons lointains pour tourner la page. Pour autant, les six prévenus présents dans le box hier soir ne régleront pas tous la facture. Soupçonné d’avoir fourni une disqueuse et des polos GrDF, le père de la petite amie de Bohrane est relaxé faute d’éléments suffisants. Idem pour Djamel. Malgré ses forts soupçons, le procureur Caroline Chassain avait requis la relaxe: «Je suis convaincue que c’est l’inspirateu­r. Mais il y a une grande différence entre inspirateu­r et commandita­ire…» Si Mes Jacquemin et Terrazzoni peuvent s’estimer satisfaits, leurs confrères Mes Bottin, Mollot, Diallo et Chebil Mahjoub ne peuvent éviter la condamnati­on de leurs clients. Borhane Bouhouche écope de trois ans de prison ferme, Marwane Abdelmalek et Babacar Barro de deux ans, Dylan Hoang de dix-huit mois. Le tribunal se montre plus sévère que les réquisitio­ns du parquet, face à des faits «d’une brutalité qui le laisse sans voix.» (1) Lire notre édition de Menton du 16 octobre.

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(Photo archives Eric Dulière) À Sospel, les victimes ont vécu une scène d’épouvante à l’abri des regards.

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