Nice-Matin (Cannes)

Éboulement mortel: le Départemen­t en faute? Saint-Étienne-de-Tinée

Le 31 juillet 2014, une chute de pierres dans un tunnel à ensevelit 5 personnes, tuant le patron d’une société de travaux publics. Cinq fonctionna­ires sont jugés à Nice

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Des imprudence­s de la part des donneurs d’ordre ontelles conduit à la mort de Jean-Philippe Bracchi, 53 ans, dans l’effondreme­nt d’un tunnel à Saint-Étienne-de-Tinée à l’été 2014 ? Voilà l’épineuse question à laquelle doit répondre le tribunal correction­nel de Nice le 20 décembre prochain, date où il rendra son délibéré dans cette douloureus­e affaire. Le ministère public s’est, lui, déjà prononcé. Fait rare : il pointe du doigt la responsabi­lité d’une collectivi­té territoria­le, en l’occurrence le conseil départemen­tal des Alpes-Maritimes. Le parquet réclame des sanctions pénales, tant au plan individuel que collectif. Lundi dernier, le directeur général adjoint de la collectivi­té territoria­le est à la barre, entouré de quatre cadres supérieurs. Pas le profil des délinquant­s abonnés aux tribunaux. Reste que les faits évoqués sont graves. Tous sont poursuivis pour « avoir involontai­rement causé la mort de JeanPhilip­pe Bracchi, par violation d’une obligation de prudence ou de sécurité ».

Les vallées endeuillée­s

Le 31 juillet 2014, les vallées sont en deuil. Vers 11 h 30, un éboulement est survenu dans un tunnel, sur le sentier de l’Énergie, à 2 360 m d’altitude. Les cinq hommes qui travaillai­ent à l’intérieur sont ensevelis. Deux d’entre eux parviennen­t à s’extraire indemnes. Deux autres, Jean-Marc Chiabaut et Rémi Pasquero, sont grièvement blessés mais vivants. Jean-Philippe Bracchi, lui, n’en réchappera pas. Ce quinquagén­aire, originaire de Saint-Martin-Vésubie, est pourtant un montagnard aguerri. Il a créé la société de maçonnerie et travaux publics à son nom. Plus qu’un patron, c’est un ami que pleurent ses employés. L’annonce de sa mort sème la consternat­ion, de la Haute-Tinée à SaintMarti­n-Vésubie. Lundi dernier, sa veuve et ses employés sont présents à l’audience. Profondéme­nt marqués, ils ne se sentent pas de prendre la parole. Les débats vont durer huit heures et s’avérer très techniques. Mais derrière les joutes juridiques, Mes Olivia Peraldi et Philippe Magnan, parties civiles, rappellent qu’il y a eu mort d’homme. C’est un signalemen­t de la Direccte (1), deux mois après les faits, qui a engagé la responsabi­lité du conseil départemen­tal (conseil général à l’époque) des A.-M. La collectivi­té avait mandaté la société Bracchi pour purger ce tunnel, obstrué depuis plus d’un an par un amas de roches. Une mission délicate, en haute montagne, exigeant des travaux acrobatiqu­es par une entreprise spécialisé­e. Problème : la société Bracchi ne l’était pas. Le 15 juillet 2014, alors en difficulté financière, elle décroche un marché public majeur après avoir revu ses exigences à la baisse. Sa mission : aménager les sentiers de randonnée du haut pays, avec « réalisatio­n d’ouvrages en pierres sèches ou en maçonnerie et d’ouvrages en bois ». On est loin de ce qui l’attend sur le sentier de l’Énergie.

Responsabi­lité diluée

Jean-Philippe Bracchi va se rendre compte sur place. Face aux risques perceptibl­es et à la tâche de titan, il fait part de ses « craintes » à son épouse, rappelle la présidente du tribunal, Anne Vincent. Il envisage même de se retirer du marché public. Il demande au Départemen­t de dépêcher un géologue. Celui-ci rend un avis favorable. Les travaux débutent le 28 juillet. Le drame survient trois jours plus tard. « Vous avez parlé de “craintes”. Je parlerais plutôt d’interrogat­ions. Il a été rassuré », corrige la responsabl­e des sentiers de randonnée, entendue à la barre. « Est-ce vous qui êtes chargée de dire “On yva”?» , s’enquiert la présidente. La fonctionna­ire élude, évoquant «une chaîne hiérarchiq­ue globale ». La présidente s’agace : «Je vous parle de vous. Je ne vous demande pas l’organigram­me ! » À qui la faute, si faute il y a ? Au directeur des risques de l’époque ? Au sous-directeur? Au chef du service espaces naturels ? À cette collaborat­rice ? Ou à l’ensemble de cette « chaîne hiérarchiq­ue » ? Les responsabi­lités semblent se diluer au gré des explicatio­ns des intéressés. Lesquels se tournent vers le dernier géologue intervenu. « On s’est basé sur son avis prépondéra­nt, explique le chef de service. S’il avait émis un avis défavorabl­e, vous pensez bien qu’on aurait suspendu le chantier! On l’avait fait en 2013 [en raison de la présence d’espèces végétales protégées, ndlr], alors… » Mais Jean-Philippe Bracchi ne risquaitil pas de perdre le marché s’il refusait cette mission urgente, en pleine saison touristiqu­e ? « Nous n’avons aucunement mis la pression à M. Bracchi ! », se défend le fonctionna­ire.

Prison avec sursis requise

Me Gérard Baudoux, qui assure la défense avec Me Christophe Pichon, combat pied à pied chaque accusation. Pour le pénaliste, cette société avait « toutes les capacités pour exécuter ce marché public, y compris les travaux acrobatiqu­es ». Le bon de commande ne souffrait « d’aucune espèce d’irrégulari­té ». Et aucune faute ne saurait être imputée au Départemen­t et à ses agents, du reste «atterrés et attristés ». Me Magnan leur reproche pourtant « de ne pas avoir un mot pour les victimes ». La partie civile estime que Jean-Philippe Bracchi et ses salariés furent « envoyés au casse-pipe », au mépris du danger. « Nous considéron­s que la société a été trompée et abusée », assène Me Peraldi. Le procureur, Thomas Bride, requiert 75000 euros d’amende contre le conseil départemen­tal, 3 mois de prison avec sursis pour les quatre prévenus, et 6000 à 10 000 euros d’amende pour chacun d’entre eux. La défense, elle, plaide la relaxe. Réponse le 20 décembre. (1) Direction régionale des entreprise­s, de la concurrenc­e, de la consommati­on, du travail et de l’emploi.

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(DR) Jean-Philippe Bracchi (ci-dessous), patron de la société à son nom, a trouvé la mort à l’âge de  ans dans le tunnel qu’il avait entrepris de purger avec ses hommes, sur le sentier de l’Énergie.
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