Nice-Matin (Cannes)

« Je suis un repenti de l’industrie agroalimen­taire »

Pendant vingt-cinq ans, Christophe Brusset, ingénieur, a participé à l’élaboratio­n de milliers de produits. Devenu lanceur d’alerte, il révèle dans son livre les combines des industriel­s pour nous faire avaler une nourriture pas toujours très saine

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE DOUET

Vous avez participé, pendant de longues années, à la fabricatio­n de produits alimentair­es dont vous connaissie­z la piètre qualité. Pourquoi ce revirement ?

Je vivais mal cette distorsion entre mon goût pour la nourriture saine et ce que je vivais au quotidien. Mais il fallait bien que je fasse vivre ma famille… J’évitais de me poser des questions, même si je n’étais pas fier de ce que je faisais. Aujourd’hui, je suis un repenti de l’industrie agroalimen­taire. Le seul, à ma connaissan­ce.

Quelles sont les plus grosses arnaques auxquelles vous avez participé ?

J’ai fabriqué de la confiture de fraise… sans fraises. Et de la glace à la vanille sans vanille, mais avec les fameux petits points noirs évocateurs de la gousse.

Comment arrive-t-on à ces résultats ?

Pour la confiture, on mélange une gelée de sucre avec du jus de sureau pour la couleur, un arôme fraise, puis on ajoute des akènes, ces petits grains visibles à la surface des fraises, qui s’achètent en boîte. Pour la glace, on utilise ce qu’on appelle de la « vanille épuisée », c’est-à-dire des déchets de gousse dont on a extrait la vanilline. Les petits points noirs font croire à la présence de vanille, alors qu’ils n’apportent aucun arôme. Vous pouvez le vérifier dans la liste des ingrédient­s sur les bacs de crème glacée, et pas seulement dans le bas de gamme.

Justement, l’étiquetage peut aussi être trompeur…

C’est le cas quand on nous fait croire que telle pâte à tartiner contient de bons ingrédient­s en affichant de belles noisettes et un verre de lait sur l’étiquette, alors que le produit contient essentiell­ement du sucre et de l’huile. Et que dire du chocolat en poudre dont le fabricant assure qu’il « complète les bienfaits du lait » ? Ce produit leader du petit-déjeuner des enfants contient environ  % de cacao pour  % de sucre. Même chose avec le surimi « au goût frais de homard » qui n’en contient pas du tout… Un conseil : lisez toujours la liste d’ingrédient­s.

Autre produit souvent trompeur : le miel, notamment en provenance de Chine…

J’ai travaillé pour le plus gros importateu­r de miel en France. Nous faisions venir du miel de Chine. Mais là-bas, chez nos fournisseu­rs, je n’ai jamais vu de ruches ! Juste des laboratoir­es qui fabriquaie­nt des sucres liquides auxquels on ajoute différente­s teintes de colorants. C’est cela qu’on achète pour du « miel » premier prix, à moins de  € le kilo au supermarch­é.

Vous dénoncez une autre trouvaille marketing : les produits allégés qui ne sont pas aussi sains qu’ils en ont l’air, dites-vous…

Pour alléger les aliments en graisses et/ou en sucre, on leur ajoute des substituts et des additifs dangereux pour la santé. Prenez l’aspartame, par exemple. Dans les années , on nous a présenté cet édulcorant comme un progrès, le produit qui apporte le goût sucré sans les caries ni les calories. Or, on s’est rendu compte depuis que non seulement les gens qui en consommaie­nt ne maigrissai­ent pas, mais qu’en plus ils développai­ent un diabète de type .

Et l’aspartame n’est pas seul au nombre des additifs controvers­és…

Entre les émulsifian­ts, les conservate­urs, les colorants, les exhausteur­s de goût et les édulcorant­s, ce sont plus de  substances qui sont utilisées par l’industrie agroalimen­taire. Le problème est que seule la moitié fait l’objet d’une obligation de signalemen­t dans la liste des ingrédient­s. Pour l’autre moitié, l’industriel n’est pas tenu de vous révéler leur présence. C’est le cas, par exemple, du diméticone. Ce nom vous dit peut-être quelque chose, puisqu’on retrouve cette substance dans les produits antipoux. Or, le diméticone, classé comme cancérigèn­e, est aussi utilisé par l’industrie agroalimen­taire comme antimousse, pour fabriquer du sucre ou des huiles de friture.

Quels sont les ingrédient­s et additifs à fuir systématiq­uement ?

Commencez par éviter tous les produits qui contiennen­t des additifs nommés « E », suivi de chiffres. Je pense en particulie­r au E , un additif toxique, souvent présent dans les beurres allégés. Evitez aussi tous les noms barbares, qui semblent sortis d’un cours de chimie. Et en règle générale, privilégie­z les produits qui ont la liste d’ingrédient­s la plus courte.

Existe-t-il des outils pour s’y retrouver ?

Il existe des applis gratuites telles que Yuka ou Open Food Facts qui, simplement en scannant le codebarres d’un emballage, indiquent le nutri-score du produit, la présence d’additifs, assortis de leur caractère controvers­é le cas échéant.

Il est toutefois impossible de connaître l’origine des ingrédient­s d’un produit transformé. Faut-il améliorer l’informatio­n ?

Je plaide pour que le consommate­ur soit informé, et puisse acheter ce qu’il mange en connaissan­ce de cause. Prenez un ingrédient courant comme le concentré de tomate. Il provient essentiell­ement de Chine, et la pizza industriel­le que vous mangez en contient sans que vous le sachiez, puisque les fabricants ne sont pas tenus d’indiquer l’origine de leurs matières premières. Or, ce concentré de tomate « made in China » est bourré d’additifs.

Concernant les pesticides, vous affirmez que les fruits et légumes français contiennen­t des substances interdites chez nous…

On estime à près de  % le pourcentag­e de fruits et légumes cultivés sur notre territoire qui contiennen­t des pesticides interdits en France. Parce que certains paysans français se rendent en Espagne, où ils se procurent des produits autorisés localement. Ils font fi de la santé des consommate­urs – et de la leur – au nom du rendement. C’est pourquoi je plaide pour que les interdicti­ons de pesticides soient imposées au niveau européen. Éviter tous les produits qui contiennen­t des additifs nommés « E » ”

Qu’est-ce qui motive les grandes multinatio­nales de l’alimentair­e à inventer toujours plus d’arnaques ?

La recherche du profit. Produire plus et toujours moins cher, pour augmenter leurs marges, en se fichant bien de la qualité. La nourriture industriel­le et bon marché est nocive. A cause de la malbouffe les maladies comme l’obésité explosent, mais ce n’est pas leur problème : la morale n’est pas leur affaire. Le problème, c’est que l’autre garde-fou, la loi, qui est censée protéger le consommate­ur, n’est pas assez restrictiv­e. Le législateu­r a failli à son devoir de protection des citoyens, comme avec l’abandon de l’obligation d’afficher le Nutri-Score sur les aliments transformé­s.

Les produits dits « premier prix », rangés en bas des rayons, sont donc les plus mauvais pour la santé. Les consommate­urs qui font attention à leur budget sont-ils condamnés à mal s’alimenter ?

Il existe une alternativ­e quand on veut manger sainement avec un petit budget : cuisiner. Il faut compenser par du temps. Le repas fait maison ne comporte aucun additif, pas trop de sel ou de sucre.

Nous faisions venir du miel de Chine. Mais là-bas, chez nos fournisseu­rs, je n’ai jamais vu de ruches ! ”

(Agence locale de presse) « Et maintenant, on mange quoi ? », éditions Flammarion, 300 pages, 19 €.

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(Photo ALP)

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