Nice-Matin (Cannes)

Bientôt un dépistage organisé du cancer du poumon ?

Trente experts parmi lesquels deux Azuréens, le Pr Marquette et le Dr Castelnau, se positionne­nt en faveur de la mise en oeuvre d’un dépistage par scanner. Leur rapport est sur le bureau d’Agnès Buzyn

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Nelson. C’est le nom de l’étude européenne dont tous (1) les experts attendaien­t les résultats. Ils viennent de tomber et sont sans appel. « Le dépistage par scanner thoracique des population­s à risque (fumeurs ou ex-fumeurs) permet de réduire la mortalité par cancer du poumon de 25 % chez les hommes et de 40 à 60 % chez les femmes », rapportent, enthousias­tes, le Pr CharlesHug­o Marquette et le Dr Olivier Castelnau, respective­ment chef de service de pneumologi­e (CHU de Nice) et pneumo-oncologue (polycliniq­ue Saint-Jean de Cagnes-sur-Mer et Institut Arnault Tzanck de Saint-Laurent-du-Var). Les deux Azuréens figurent parmi le groupe des 30 experts français qui se sont

(2) auto saisis du sujet et ont rédigé un rapport en faveur du dépistage organisé du cancer du poumon parmi les population­s à risque. Soit les fumeurs et ex-fumeurs (moins de 10 ans de sevrage) âgés de 50 à 75 ans, avec un passé de 15 à 20 ans de tabagisme, peu importe la quantité. « Nous en appelons aujourd’hui au ministère de la Santé et des Solidarité­s, à l’Institut national du cancer et à la Haute Autorité de santé (HAS) pour initier rapidement une réflexion sur les modalités de sa mise en oeuvre.» À la clé, quelque 7500 vies épargnées en France – soit deux fois plus que les « tués » de la route.

Surveillan­ce ou opération

Il y a quelques années, en 2012, à la suite de la publicatio­n d’une étude américaine cette fois, un groupe d’experts, parmi lesquels le Dr Castelnau, avait déjà émis des recommanda­tions similaires. Mais la HAS les avait alors écartés, en arguant que le risque de faux positifs (mise en évidence d’une lésion s’avérant bénigne après biopsie) était trop élevé. « Pour éviter ces situations, on peut se baser sur la mesure du temps de doublement à trois mois, annonce le Pr Marquette. En clair, s i une “boule” est mise en évidence sous scanner, on refait un examen trois mois plus tard. On peut ainsi calculer la vitesse de croissance de cette “boule”. En deçà d’un certain seuil, on estime que ce n’est pas inquiétant, et on se contente de surveiller le patient. Au-delà, on opère.» Un protocole qui réduit considérab­lement le risque d’opérer des gens « pour rien ». Concernant la périodicit­é, « les personnes à haut risque de cancer du poumon, comme les patients atteints de BPCO [broncho-pneumopath­ie chronique obstructiv­e, ndlr], devraient bénéficier d’un scanner tous les ans. Pour les autres, le rythme de dépistage dépendra des résultats ; après un premier puis un second examen normal un an plus tard, on augmentera la période de latence entre deux examens. »

Dix centimes par paquet pour financer

Si la population éligible pour ce nouveau dépistage est estimée à 1,6 million de personnes, il est improbable que toutes y participen­t. « Les recommanda­tions établies au niveau européen évoquent un taux de participat­ion de 65 %, avec un seuil minimal de 45 %. » Des patients auxquels sera systématiq­uement proposée une démarche de sevrage par le médecin traitant, en première ligne dans le dispositif. « Le dépistage ne doit pas être une “licence to kill” ou “droit à continuer de fumer”», insiste le Pr Marquette. Reste une question sensible : quels moyens techniques, humains et financiers pour ce dépistage? « Moins de 10 centimes prélevés par paquet de cigarettes vendues suffiraien­t à financer ces campagnes de dépistage » , répond le Dr Castelnau. La réponse est plus complexe concernant les moyens techniques et humains.« Nous avons moins de 1200 scanners en fonction en France, et surtout peu de radiologue­s, ce qui oblige déjà des hôpitaux à délocalise­r parfois à l’étranger certaines analyses » , regrette le Pr Marquette. Mais, il a déjà réfléchi à une alternativ­e : l’intelligen­ce artificiel­le. «Pour70% des personnes éligibles au dépistage, les résultats du scanner pourraient être interprété­s par un algorithme entraîné », estime le spécialist­e qui s’apprête à présenter ce projet au ministère de la Santé. Les experts espèrent aujourd’hui une réponse rapide des tutelles. Il y a, en effet, urgence. Avec environ 31 000 décès par an, le cancer du poumon en France se situe au premier rang des décès par cancer chez l’homme et au deuxième rang chez la femme. Une mortalité très élevée liée à un diagnostic tardif. « 75 % des cancers du poumon sont découverts à un stade avancé ou diffus. » Longtemps silencieus­e, la maladie n’est repérée que lorsque des symptômes apparaisse­nt : toux, crachats de sang, fatigue, amaigrisse­ment, bronchite qui traîne…, soit à un stade avancé. « Grâce au dépistage, on inverse les chiffres, insiste le Pr Marquette. Trois quarts des cancers découverts sont opérables. Et peuvent donc être guéris.(3) » Et les deux spécialist­es de conclure sur les résultats les plus spectacula­ires de l’étude européenne : « Non seulement, on obtient une réduction de mortalité par cancer du poumon de 25 % chez les hommes et de 50 % chez les femmes, mais aussi, comme l’a montré l’étude américaine, une diminution de la mortalité toutes causes confondues. » Une première dans l’histoire du dépistage des cancers à laquelle les autorités en charge de la mise en oeuvre éventuelle de ce nouveau dépistage, ne devraient pas rester insensible­s.

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le Dr Olivier Castelnau (à gauche) et le Pr Charles-Hugo Marquette sont membres du comité d’experts qui oeuvrent pour la mise en place rapide du dépistage organisé. (Photos DR)
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