Nice-Matin (Cannes)

« J’aime rire de tout ce qui m’agace ou me terrifie »

Avec Le meilleur du pire, Manuel Pratt revient au théâtre du Tribunal avec un spectacle qui se moque des peurs enfouies. De l’esprit et beaucoup d’humour à découvrir ce soir

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÉMY TOMATIS jtomatis@nicematin.fr

Manuel Pratt est un humoriste passé maître dans l’art de tourner en dérision nos terreurs. Avec son nouveau spectacle, Le meilleur du pire, qu’il joue au théâtre du Tribunal dès ce soir, le comédien décomplexe ces cauchemars qui sommeillen­t en chacun de nous...

Comment résumez-vous votre nouveau spectacle ?

C’est un florilège… Quand Fabienne Candela (directrice artistique du théâtre) m’a proposé de venir remplacer un comédien qui ne pouvait finalement plus venir, je me suis demandé ce qui m’amuserait le plus. Je voulais vraiment faire un spectacle sans épine. C’est-à-dire où je m’amuse et où je dis ce que je pense. C’est un mélange de sketchs et de stand-up sur l’actualité qui est foisonnant­e. Comme par exemple les gilets jaunes, avec les bons et les mauvais côtés. En fait, j’aime rire de tout ce qui m’agace ou me terrifie.

Rire avec le meilleur du pire, c’est un peu une marque de fabrique ?

On me disait hier : on arrive à rire des choses les plus terribles. Mais si on n’en rit pas, elles nous bouffent et on en crève. Moi j’ai très peur de la maladie, de la mort, de la mort de mes proches. J’essaie de désamorcer tout ça. C’est très juif en fait. Je pense que toutes mes vieilles gênes ressortent. On dit souvent : est-ce qu’il y a un humour juif ou est-ce qu’il y a un humour corse ? Je pense qu’indéniable­ment, dans la culture juive, il y a une politique de désespoir et on essaie d’en rigoler. Et je pense qu’on se le transmet de génération en génération. Il fut un temps où j’aimais beaucoup Woody Allen. Pas l’homme, que je déteste pour plusieurs raisons que l’on connaît. Mais j’aime vraiment ce rire de désespoir. Mon arrière-grand-mère me racontait des histoires terribles. Et plus elles étaient terribles, plus on en rigolait.

C’est un exutoire ?

Complèteme­nt. Je survis dans cette vie parce que les choses horribles, j’arrive à les maîtriser par le rire. Sinon je crois que je serais trop désespéré. Sans ça je serais comme Cioran (). Mais il m’emmerde à cause de ça, car il n’y a pas de distance. La vie c’est de la merde, le bonheur de la connerie… D’accord mais marre toi un coup et arrête.

Le spectateur décomplexe aussi

Exactement. Ça le libère. C’est bénéfique de rire sur des sujets comme ça. On a tous des terreurs. Je parle du cancer, du Sida, du viol… sur un panel de cinquante personnes, il y a un moment où on est tous touchés personnell­ement. Du moment qu’on en parle avec dérision, on se dit que ça fait du bien de se libérer de tout ça. C’est le spectacle où je me dis heureuseme­nt que je ne suis pas connu sinon j’aurais cinquante procès…

Il y a quarante ou cinquante ans, ça aurait été une consécrati­on...

Mais ce n’est plus accepté. Et la médiatisat­ion est très dangereuse. J’étais très ami avec Élie Kakou. Quand je voyais sa vie, je me disais tout sauf ça. Il ne pouvait rien faire normalemen­t. C’était horrible. La notoriété est la chose la plus terrifiant­e. Je suis à Narbonne et je suis allé hier dans un café. Tu écoutes un peu, tu parles avec les gens. Ce sont des brèches merveilleu­ses pour écrire des spectacles. Un mec connu, tout de suite on lui demande des autographe­s… C’est le problème des humoristes connus et des politiques. Ils sont complèteme­nt déconnecté­s. Ce n’est pas ça qui m’intéresse. Je pense que l’humoriste est un violeur d’âmes. Je dis souvent à ma fille que pour devenir comédienne, pas besoin de prendre des cours. Tu t’assois à un bar et tu regardes comment les gens marchent et parlent, leurs défauts, leurs travers. Donc là je vais aller prendre un petit verre de rouge pour prendre un cours. C’est la bonne école je pense. [Rires] 1. Cioran est un philosophe, poète et écrivain roumain connu entre autres pour son scepticism­e.

Savoir + Le meilleur du pire, ce soir, demain, vendredi et samedi à 20 h 30 au théâtre du Tribunal. Tarifs : entre 13 et 15 euros. Rens. au 06.43.44.38.21.

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