José Bové : « Non, je ne soutiens pas les “gilets jaunes” »
Dans le Golfe de Saint-Tropez, le parlementaire européen EELV dénonce une incohérence du mouvement. Repli individuel, colère et populisme représentent pour lui un cocktail très risqué
Venu dans le Golfe participer ce soir à Saint-Tropez à la présentation de la traduction des mémoires de l’anarchiste Emma Goldman qui vécut à Saint-Tropez dans les années 20 et y écrivit l’ouvrage, mais aussi pour être lundi aux côtés des associations qui contestent les projets immobiliers du maire de Fréjus David Racheline sur la base nature, José Bové, altermondialiste, député européen EELV, revient sur l’actualité française et le mouvement inédit des «gilets jaunes» qui doivent encore défiler à Paris aujourd’hui. Et le moins qu’on puisse dire, est qu’il ne cautionne pas, car il juge le mouvement incohérent et en passe d’être récupéré par les partis populistes français, de droite comme de gauche.
Vous ne soutenez pas le mouvement des « gilets jaunes » ?
Non. Autant je peux comprendre les gens qui sont en situation de vrai désarroi, en milieu rural très excentré ou en périphérie urbaine, car ils peuvent se sentir pris à la gorge. Mais il faut considérer qu’avec un SMIC d’aujourd’hui on peut acheter deux fois plus d’essence qu’il y a ans! Et objectivement, on n’est pas dans la situation du choc pétrolier des années ou des années . Concernant les impôts, on peut évidemment discuter sur leur répartition. Mais ceux qui sont vraiment dans le besoin ne paient pas d’impôts. Par ailleurs, la composition sociale du mouvement est très disparate. C’est la colère qui coalise les gens. C’est ce sentiment de colère qui s’exprime et qui devient irrationnel. On dit qu’il y a trop d’impôts, mais par ailleurs on veut plus de service public.
Les revendications sont parfois violentes...
On demande la démission de Macron, la dissolution de l’Assemblée nationale. Voilà qui ressemble à une insurrection, une révolution. Mais pourtant, comme nous sommes dans un système démocratique, dont se réclament les « gilets jaunes », ils veulent aussi être écoutés et entendus. C’est incohérent. Pour finir, il y a ceux qui appellent au soutien du mouvement. Et ce sont des élus, des représentants politiques qui soufflent sur les braises. Curieusement aussi, parmi les sympathisants, il y a une surreprésentation du Rassemblement national et de la France insoumise. On se rapproche de l’Italie, où le mouvement étoiles et la Ligue du Nord se sont réunis. Et tout cela est teinté d’un grand individualisme.
Que faudrait-il faire?
Il faut répondre à ce mouvement singulier, dont la revendication de base est le prix de l’essence. Le problème est que la part de la taxe carbone qui va aux solutions alternatives n’est pas assez importante. Pourtant, il faut arrêter le processus du toujours plus de voitures. Or, il existe un refus majeur de la part des gens de prendre en compte ce risque qui se rapproche de plus en plus. L’ONU pronostique , à ° de réchauffement. Nous allons vivre quelque chose de terrible et pour y répondre, il faut une solidarité collective. Dans le Larzac où je vis, nous avons depuis longtemps organisé les transports avec du covoiturage, des transports publics, de façon à ce que même les gens excentrés ne soient pas oubliés. C’est une question de volonté. Pas de moyens financiers. La France les a. Pour l’instant, nous vivons un repli individuel, une colère et une montée du populisme qui représentent un cocktail très risqué.
Qui ne fait pas ce qu’il faut?
Le problème est qu’il n’y a pas de courage politique. Macron a peut-être des sensibilités écologiques, mais pas son gouvernement. Au niveau européen, nous nous battons pour la mise en place d’une taxe aéroportuaire. Elle permettrait de financer certaines mesures indispensables, pour agir et freiner le changement climatique qui va arriver. Mais les gens ne veulent pas assumer avant la catastrophe. Pourtant, il ne faut pas de baratin. Il faut une rupture totale. Il ne faut pas se mentir, on a tous les moyens techniques pour changer, mais il faut le faire ensemble et de manière collective. Il ne faut pas rester les mains dans les poches. Les « gilets jaunes » ont l’impression de n’avoir de prise sur rien, ni espérance, ni capacité de changer quoi que ce soit. On va aller dans le mur. Or il faut faire de vrais choix et des choix lisibles pour les gens. Le problème est que les réflexions pour sauver le climat et la justice sociale se percutent. Comment construire les deux? Et à court terme. Il faut répondre à la désespérance par des investissements collectifs, libérer l’argent, faire de grands plans au niveau européen. Nous sommes la zone la plus riche de la planète. Macron a eu raison de mettre en parallèle les questions de fin du monde qui imposent des mesures et celles de fin de mois de tout un chacun. C’est une vérité, mais il faut agir. Il va y avoir les élections européennes au printemps. J’ai peur hélas que l’élection se joue chez nous de façon franco-française et que les partis qui y ont intérêt, instrumentalisent ceux qui souffrent et ne proposent pas de solution collective. C’est très dangereux, à tous les niveaux.