Nice-Matin (Cannes)

Rachid Benzine : « Il faut apaiser les esprits »

Rachid Benzine est venu jouer Lettres à Nour au Théâtre de Grasse. Une représenta­tion unique de cette pièce qui met en scène la radicalisa­tion et un projet qui devrait se développer

- PROPOS RECUEILLIS PAR CLAIRE CAMARASA ccamarasa@nicematin.fr

Islamologu­e, historien et auteur, Rachid Benzine était sur les planches du Théâtre de Grasse pour une représenta­tion scolaire unique de Lettres à Nour. Cette pièce tirée de son roman Nour, pourquoi je n’ai rien vu venir ? publié en 2016, est une lecture des lettres échangées entre une fille partie rejoindre son mari, lieutenant de Daech qu’elle a épousé en secret, et un père veuf, philosophe. S’ils ne se comprennen­t pas, l’amour reste au coeur de ses échanges. Sur scène, une longue table avec Rachid Benzine d’un côté, dans le rôle du père et Lina El Arabi à l’autre bout, dans le rôle de la fille. Le Théâtre de Grasse prévoit d’ailleurs d’inclure le projet dans sa prochaine saison.

Comment a été créée Lettres à Nour ?

C’est un roman épistolair­e, fruit d’un travail universita­ire. J’avais étudié les idéologies de Daech. J’ai passé un an et demi dans une prison en Syrie. J’habite à Trappes où  jeunes sont partis rejoindre Daech. À chaque fois, les parents m’ont confié n’avoir rien vu venir. Il n’y a pas de profil type. La force de Daech est de jouer sur quatre rêves. Celui de l’unité du monde musulman contre le monde occidental. Celui de la souveraine­té de Dieu, contre celle du peuple. Il y a aussi le rêve de la dignité qui semble perdue et de la pureté dans un monde contaminé. De la pureté à la purificati­on il n’y a qu’un pas. La violence devient un acte moral. Enfin, il y a une quête du sens. On donne un sens à la mort à défaut de donner un sens à la vie.

Pourquoi avoir choisi de faire une pièce de votre livre ?

Après les événements du Bataclan, j’avais besoin de trouver une autre forme d’expression. La correspond­ance s’est imposée à moi. Le théâtre permet de raconter les choses autrement pour toucher les tripes et le cerveau. Il faut apaiser les esprits. J’investis de plus en plus le théâtre pour ca, pour apaiser. L’idée n’était pas de faire du théâtre documentai­re. C’est une fiction nourrie par un travail de recherche universita­ire. L’abbé Pierre disait : “Une civilisati­on se mesure à la qualité des objets de colère qu’elle propose à sa jeunesse”. Daech est un nuage radioactif qui peut s’activer demain n’importe où.

Parlez-nous du projet qui est né autour de cette pièce.

En amont du projet, un dossier pédagogiqu­e est transmis aux enseignant­s avec des exercices à faire en classe. Les jeunes écrivent des lettres en s’adressant aux protagonis­tes de la pièce. Le texte touche et encourage les jeunes à se livrer. C’est intéressan­t car cela leur permet de développer un esprit critique. L’idée est de multiplier les actions éducatives en gardant la dimension théâtrale.

Depuis quand cette pièce est-elle jouée ?

La première fois c’était à Liège, en janvier . Elle a d’abord été jouée en Belgique avant de venir en France. Lettres à Nour est proposée dans les écoles, les associatio­ns, les prisons... Elle a été présentée à Avignon avec l’acteur Charles Berling.

Actuelleme­nt, la pièce est aussi jouée au théâtre Antoine, à Paris.

C’est Eric Cantona qui interprète le père. C’est quelqu’un de sensible qui va jusqu’au bout de ce qu’il entreprend. Il a été bien choisi.

C’est important pour vous ce temps d’échange après la pièce ?

Lettres à Nour n’est qu’une étape dans cette longue conversati­on. le spectacle dure une heure et ensuite il y a environ / d’heure. Quand on joue en prison devant des djihadiste­s, il y a un grand silence. Certains m’ont même confié, après la représenta­tion : “Ça nous enlève une partie de notre colère”. L’idéal serait qu’il y ait un suivi et un travail à long terme.

 ??  ?? Les collégiens Grassois ont pu assister à l’unique représenta­tion de Lettres à Nour, au Théâtre de Grasse. (Photo DR)
Les collégiens Grassois ont pu assister à l’unique représenta­tion de Lettres à Nour, au Théâtre de Grasse. (Photo DR)

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