Nice-Matin (Cannes)

Olivier Barruel dans les pas d’une djihadiste française

Journalist­e-reporter d’images, il retrace dans La Bombe humaine le parcours de la Bretonne Émilie König, recruteuse de l’Etat islamique et détenue depuis un an dans un camp en Syrie

- PROPOS RECUEILLIS PAR P. POLETTO

Il a baroudé dans des lieux sombres à hauts risques pour des reportages (Canal +, TF1, CNN, Arte...) et il explore cette fois-ci la personnali­té trouble de l’une des Françaises les plus recherchée­s, blacklisté­e par les États-Unis. Olivier Barruel dévoile dans son livre La Bombe humaine (Editions Ring) trois années d’échanges avec Émilie König, une radicalisé­e de 34 ans, arrêtée le 12 décembre 2017 par les Kurdes et détenue depuis en Syrie.

«La Bombe humaine» est votre premier livre. Pourquoi se lancer dans cette aventure ?

Après les arrestatio­ns de femmes djihadiste­s en Syrie et en Irak, une consoeur présentée comme une spécialist­e de l’islam en France a lancé un appel aux Français pour se mobiliser au nom du féminisme et sensibilis­er l’État sur le sort d’Émilie et de deux autres Françaises. Cette prise de position m’a choqué. Comment associer un combat féministe à une idéologie mortifère ? J’ai pris la décision d’écrire pour révéler ce qui se cache sous le voile de ces femmes parties faire le djihad.

Comment cette Bretonne est-elle devenue une propagandi­ste ?

Malgré le fait qu’elle s’en défende, Émilie s’est rapprochée du salafisme, la version la plus sectaire de l’islam. Je consacre un chapitre sur la victimisat­ion et l’islamophob­ie brandie comme un étendard. Instantané­ment vous passez d’un statut d’individu à celui de membre d’une communauté. C’est le rôle que remplissai­t l’Eglise il y a encore quelques années.

On vous a dit : « Olivier, méfiezvous d’Émilie König »...

J’ai fait preuve de prudence. J’ai compris rapidement que pour elle je n’étais qu’un vecteur de communicat­ion. Un canal de transmissi­on. Plusieurs mois après notre première rencontre, elle m’a fait une confidence en rigolant... J’étais mal coiffé, mal rasé, avec mes grosses lunettes noires, elle croyait que j’étais Charb [le dessinateu­r de Charlie Hebdo]. Elle ne le supportait pas et m’a dit, trois ans avant les attentats : « [il] a insulté les musulmans, mais nous nous vengerons ».

Comment expliquez-vous sa facilité à convertir ?

Je pense qu’elle a suivi des formations dispensées par des personnes influentes. Lorsque je la filme dans le square de la Défense, elle «retourne» deux jeunes en moins de dix secondes, je n’en crois pas mes oreilles.

Émilie König, la recruteuse, joue sur un désir d’exister ?

La cible est la captation et le contrôle de l’attention d’autrui en vue de le manipuler. Lors de mes discussion­s avec de jeunes convertis, j’ai senti une recherche ontologiqu­e, une volonté d’exister dans la lumière, d’être différent des autres et de pouvoir s’en distinguer en prenant l’ascendant sur eux. Ils sont tous portés par le sentiment de détenir la vérité.

Peut-on revenir des ténèbres ?

Il faut observer avec attention le sort réservé à ces combattant­s islamistes. La plupart d’entre eux ont appelé ouvertemen­t aux meurtres de Français et ont pris les armes contre nos soldats. Certaines choses m’échappent toujours... Comme je l’explique, certains Français partis en Syrie continuent de toucher leurs ASSEDIC ou le RSA ! Je pense que certains peuvent revenir de l’enfer, alors pourquoi pas Émilie. Je pense que l’on peut revenir des ténèbres si l’on est bien entouré. Mais la question est de savoir pour combien de temps ?

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 ??  ?? Olivier Barruel, reporter et auteur de La Bombe humaine sur l’une des djihadiste­s les plus recherchée­s. (DR)
Olivier Barruel, reporter et auteur de La Bombe humaine sur l’une des djihadiste­s les plus recherchée­s. (DR)

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