Nice-Matin (Cannes)

Rencontre avec Maryse,  ans

Maryse Lancioni a 111 ans et habite à Eze. Depuis la mort de Fernande Bataille à 110 ans en 2017, elle prétend au titre de doyenne des Alpes-Maritimes. On a passé la journée avec elle

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT MENTHA

Maryse Lancioni a 111 ans. Mais ne vous laissez pas intimider par ce chiffre canonique. La Corse a un tempéramen­t bien trempé et conserve une indépendan­ce farouche. Pas de maison de retraite. Pas de déambulate­ur. Une simple canne, et depuis peu. Alors que la polémique enfle depuis quelques semaines autour de l’âge de Jeanne Calment, Maryse coule des jours tranquille­s face à la mer. Quelques articles sur son âge dans NiceMatin ont bien valu l’envoi d’une lettre anonyme. «De la jalousie », peste Maryse. La mairie d’Èze a pris les devants en se procurant l’extrait de naissance de la centenaire il y a deux ans. Maryse ne triche pas. Ses yeux pétillent et ses souvenirs sont intacts.

Maryse, comment êtesvous arrivée sur la Côte d’Azur ?

Je n’étais pas très heureuse chez moi en Corse. Et un jour, je me suis fait la malle.

Quel âge aviez-vous ?

J’étais à peine majeure. J’avais à peu près  ans. [Jusqu’au  juillet , la majorité était fixée à  ans, ndlr]

Et en quelle année êtes-vous née ?

Je suis née le  novembre .

Maryse se tourne vers Catherine. « Catherine (une de celle qui veille sur elle), va chercher ma carte d’identité!» Le document en plastique indique le lieu de naissance de Maryse. Vescovato, à une trentaine de kilomètres au sud de Bastia.

Pourquoi avez-vous décidé de rester à Nice ?

Ça me plaisait. J’ai habité longtemps dans le centre, au  rue Masséna. Au numéro , il y avait une boîte de nuit, et inutile de vous dire que j’y étais tous les soirs !

Et vous aviez un travail ?

Quand je suis arrivée, j’étais bonne à tout faire. Après, j’ai rencontré un bonhomme âgé qui m’a acheté un meublé de dix chambres dans le centre de Nice. Je suis devenue loueuse. Lui, il était libre, et il m’appelait “ma reine”. “Chérie”, ce n’était pas assez !

Maryse tend la main vers une enveloppe

‘‘ posée sur la table. À l’intérieur, des photos d’une femme très chic en tenue de soirée, fourrure jetée sur les épaules, follement Ava Gardner. « Là, j’avais 48 ans, indique la centenaire en pointant un doigt noueux sur le visage de la femme. C’était au Palais de la Méditerran­ée. J’ai fait deux galas, et j’avais deux robes différente­s ! » Un éclat de fierté et de nostalgie traverse les yeux de la doyenne.

Et vous avez quitté Nice pour voyager ?

(Son visage s’illumine) Je voyageais sans arrêt ! Je suis allée aux Etats-Unis sur Le France. C’était en , j’ai vu la Maison Blanche. (Maryse marque une pause et articule soigneusem­ent) La White House.

« Quel accent, Maryse ! » Les yeux de la Corse se fendent d’un pli rieur. « Donnez-moi un nombre en français, et je le dis en anglais ! » « Ok, disons, 1522… ? » Maryse s’interrompt, cherche la réponse du regard. « C’est trop grand ! » décide-t-elle. « Alors, 152 ? » « One hundred and fifty two » répondelle.

Bravo ! Racontez-moi comment se passent vos journées...

(Elle hausse les épaules) Oh écoutez, la plupart du temps je suis couchée. Par exemple, demain, j’ai deux personnes très gentilles qui m’amènent à U faire les courses. Elles m’aident à prendre les produits, montent le caddie… Bien entendu, je leur fais des cadeaux ! Elles s’appellent Nicole et Maryline.

Vous êtes contente de ne pas être en maison de retraite ?

(Son visage se fige dans une expression d’horreur) Oh, malheur ! Si on m’amène en maison de retraite, je meurs dans la semaine !

Son tempéramen­t de Corse reprend rapidement le dessus « Il est quelle heure, on va manger ? » « Il est midi moins dix, on a rendez-vous au restaurant à 12 h 30, Maryse », lui rappelle Catherine.

La doyenne est attendue au Da Rossana, à quelques dizaines de mètres de chez elle. Le restaurant l’a invitée à déjeuner, aux côtés de ses amies de la mairie. Dans le village, Maryse est une célébrité.

Et l’amour, alors ? Vous avez été mariée ?

J’ai été mariée puis divorcée. Il n’était pas galant, il était avare. C’était un musicien de jazz. Il a travaillé avec Bouillon, le mari de Joséphine Baker. Je ne suis même pas restée deux ans, je l’ai viré.

Il paraît qu’un amoureux de Corse vous a recherchée pendant longtemps, aussi ?

(Maryse ne répond pas et demande qu’on lui amène le cadre posé près de sa table de nuit) C’est la photo qui doit aller dans mon cercueil.

Que s’est-il passé ?

Il était amoureux de moi, et moi aussi. Et quand j’ai quitté la Corse, je ne lui ai rien dit, car il m’aurait retenue ! Je pensais qu’il avait une femme... Il a fini par me retrouver à Nice après m’avoir cherchée pendant  ans. Et quand on s’est retrouvés, je l’ai fait partir. Je lui ai dit : “Je retournera­i à Bastia avec toi dans quelques jours”.

Mais le sort en décida autrement. Pierre, l’amant de Maryse, s’est fait tuer un mois plus tard en Corse par un garçon qui importunai­t sa nièce.

« Il lui a mis sept balles dans le corps. Il est mort comme ça », se souvient la doyenne. Quatreving­t-six ans plus tard, l’amertume semble intacte. Des coups frappent soudain à la porte. « C’est le docteur Eva ! », s’exclame Maryse. « Vous venez au restaurant avec nous ? J’ai fait ajouter un couvert ! » Le médecin passe embrasser la centenaire en coup de vent. Elle aura un peu de retard au déjeuner. « On commencera à manger hein, on ne va pas attendre trois heures ! » Brut de décoffrage, la Corse.

- « Maryse, on va vous filmer, maintenant. Vous êtes prête ? »

- «Oui!»

Maryse répond à toutes les questions avec la philosophi­e d’une personne qui a traversé les secousses d’un siècle. Inévitable­ment, on lui demande si c’était mieux « avant ». La doyenne ne marque pas une seconde d’hésitation : « oui ». Aujourd’hui, on n’est sûr de rien. Regardez ce qui est arrivé le  juillet. Les gens vont se promener et ils sautent sur une bombe

Je voyageais sans arrêt ! ”

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La photo qui doit aller dans mon cercueil ”

Mais avant Maryse, il y avait quand même la guerre…

Oui, mais là ça touche à la guerre civile. »

Et vous avez des regrets, danslavie?

(Les yeux de la doyenne s’assombriss­ent) Oui, j’aurais dû apprendre à l’école. Comme j’étais malheureus­e à la maison, je n’apprenais rien. Je ne savais même pas signer mon nom !

Maryse n’a commencé à lire qu’à 30 ans. « Quand elle écrit, elle fait toujours attention à ne pas faire de fautes », précise Catherine. La centenaire ne s’attarde pas sur le sujet. Elle a faim. « Allez, on va manger ! » Tu veux qu’on aille au restaurant à pied ou en voiture ? » demande Catherine. «Oh, quand même, s’offusque Maryse. J’ai mon bâton ! » La Corse descend la volée de marches qui mènent au rez-de-chaussée en prenant le bras de son amie. Voir la vidéo de l’interview sur nicematin.com

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(Photo Margot Mentha) Maryse est née le  novembre .

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