Nice-Matin (Cannes)

Allain Bougrain-Dubourg : « On doit modifier notre rapport à l’animal »

Défenseur obstiné de la cause animale, le documentar­iste, avec mesure et sans dogmatisme, passe en revue les problèmes de la cause animale en France. Entretien

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD / ALP

Malgré les lois, Allain Bougrain-Dubourg, journalist­e, producteur, réalisateu­r et président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), dénonce un manque de respect flagrant de la part des hommes envers les animaux.

Comment vous est venue l’idée de vous mettre à la place de différents animaux et d’écrire aux hommes qui les malmènent ?

On m’a demandé dans le cadre d’une collection intitulée « Lettre Ouverte à… » de plaider en

() faveur des animaux. Je n’étais pas enthousias­te à l’idée de reprendre la plume pour raconter une énième fois tout le manque de respect que l’on a à l’égard de l’animal. Finalement, on s’est donc dit « Pourquoi ne pas leur donner la parole ? ». L’exercice a alors a pris une dimension qui m’a enthousias­mé.

Comment avez-vous choisi vos animaux « écrivains » ?

J’ai choisi ceux qui me semblaient mériter la priorité. Par exemple, les cochons. En France, on continue à castrer les porcelets, à leur couper la queue et à leur meuler les dents sans anesthésie ! Sachant qu’ailleurs en Europe on fait autrement. Je me dis qu’il faut qu’on modifie notre rapport à l’animal. Pour ne pas plomber totalement le moral des lecteurs, nous avons ajouté des animaux qui ont bénéficié au contraire du secours de l’homme, comme les vautours, qui recolonise­nt leurs sites naturels. Nous sommes même les meilleurs au monde en vautours, si j’ose dire !

Selon vous, l’homme persiste à considérer l’animal comme une chose utile ?

Il y a un sentiment historique de domination. L’homme n’a jamais voulu être au même niveau que l’animal. Alors, on a mis un couvercle sur la marmite des souffrance­s car on ne voulait pas les voir. D’ailleurs, j’ai toujours eu plus de facilité pour tourner dans des centrales nucléaires que dans des abattoirs… Et puis L a

() livré ses images, ce qui a entraîné une vraie prise de conscience. Mais il demeure un décalage entre la sensibilit­é des citoyens et celle des élus. Regardez les végans : ce sont des gens de  à  ans qui se posent des questions sur leur relation au vivant, et qui veulent le faire savoir.

Avec des méthodes et des propos parfois dogmatique­s…

Parce qu’on a d’un côté une prise de conscience et de l’autre du mépris. J’en veux pour preuve la dernière loi agricultur­ealimentat­ion : tous les amendement­s visant à améliorer le bien-être des animaux ont été retoqués ! Des caméras dans les abattoirs à la castration des porcelets en passant par la durée de transport des animaux, tout a été rejeté. Il y a eu un manque de courage total des nouveaux parlementa­ires. Face à cela, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des extrêmes, que je condamne bien sûr sans réserve. Je ne suis, moimême, ni végétarien ni végan. Que pensez-vous de la réouvertur­e des chasses présidenti­elles ?

Le président Macron a la naïveté d’imaginer que la ruralité aujourd’hui, c’est la chasse. Il n’a pas compris que les néo-ruraux sont des gens qui quittent les villes pour une meilleure qualité de vie. Mais dans les Hauts-deFrance ou en Normandie, les chasseurs ont servi de bouclier face à la montée du Front national. Alors le Président leur fait des cadeaux. Je suis très frappé de constater qu’un homme de  ans peut être à ce point hors-sol sur toutes ces questions. Je l’avais rencontré longuement durant la campagne présidenti­elle et j’étais persuadé qu’il allait changer les choses dans ce domaine. Et puis rien ! Nous avons été trahis.

Êtes-vous à titre personnel contre la chasse ?

Très clairement. J’ai du mal à admettre qu’au XXIe siècle on retire la vie pour le plaisir. Cela dit, je travaille avec beaucoup de chasseurs et un grand nombre d’entre eux a conscience des réalités de la nature et participe à la préservati­on de la biodiversi­té.

D’après vous, la souffrance animale s’est-elle aggravée ou est-elle plus médiatisée aujourd’hui ?

Elle s’est aggravée dans la mesure où, depuis les années -, les élevages sont devenus industriel­s, les conditions de transport ont empiré et les abattoirs ont atteint des dimensions effrayante­s. Au passage, je plaide pour les tueurs des abattoirs, qui vivent un enfer, pris au coeur d’un engrenage de violence et de souffrance qui pèse sur eux. Plus largement, des scientifiq­ues du CNRS ont voulu mesurer le poids des mammifères sur la planète. Ils sont arrivés à cette répartitio­n : le bétail représente  %, l’homme  %. Il y a donc l’homme et son gardemange­r… Il reste  % pour les éléphants, les souris ou les ours. Cela donne une idée du paysage que l’homme a dessiné en un siècle. Quelle est la mesure urgente qu’il conviendra­it de prendre maintenant en France, selon vous ?

La simple mise en oeuvre des réglementa­tions ! On ferait les / du chemin. Aussi bien dans les abattoirs que pour la chasse, il existe des règles qu’il suffirait de respecter.

Faut-il interdire les animaux dans les cirques ?

Élever avec amour, au biberon, un bébé tigre dans une roulotte, c’est touchant. Sauf qu’un tigre a besoin de deux choses :  km de territoire pour marquer son domaine et de la solitude. Vous avez beau avoir un tigre qui naît pour la e génération en captivité, il sera forcément malheureux dans  m recouverts de sciure. C’est totalement contre-nature et ce n’est plus acceptable. Aucun animal sauvage n’a sa place dans un cirque.

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Il demeure un décalage entre la sensibilit­é des citoyens et celle des élus”

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Aucun animal sauvage n’a sa place dans un cirque”

A contrario, les zoos apparaisse­nt comme les protecteur­s des espèces menacées…

Ils peuvent l’être, mais ce n’est pas le cas de tous. J’ai été le président du comité de rénovation du zoo de Vincennes. Avec les scientifiq­ues du Muséum, on s’est interrogés dès le début sur le choix des animaux. Il y avait auparavant un éléphant, qui attirait beaucoup de monde. Or, pour être à peu près heureux en captivité, un éléphant a besoin de  hectares. Le zoo de Vincennes en faisant , on a dit qu’il n’y aurait plus d’éléphant. Même chose pour les ours. C’est vrai qu’il y a de nombreux parcs qui travaillen­t aujourd’hui à la conservati­on des espèces, mais ensuite, pour remettre un animal en milieu naturel, il faut trois critères : un biotope acceptable, une population humaine qui ne va pas braconner et des animaux qui auront pu éventuelle­ment se reproduire.

Sauvegarde­r le loup et réintrodui­re l’ours fait partie de cette logique ?

Le vrai problème est économique. La cohabitati­on avec les grands prédateurs, qui génère des inconvénie­nts pour les éleveurs, a toujours été accompagné­e d’aides publiques considérab­les. On pourra tuer tous les loups, tous les ours et tous les lynx de France, on ne sauvera malheureus­ement le métier de berger qu’avec des indemnités. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs prêts à la cohabitati­on avec les prédateurs, mais on ne parle jamais de ceux-là. 2. Associatio­n de protection animale.

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(Photo Bruno Barbier)

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