« Elle ne devait pas mourir en quelques jours, pas dans cet état »
Il y a 6 ans et demi, Roger assistait impuissant au départ tragique de Sylvaine, son épouse, victime du 5-FU; elle présentait une déficience en DPD. Pour elle, pour les autres, il se bat
Pas un jour depuis plus de six ans sans que Roger ne soit envahi par le souvenir douloureux de Sylvaine, cette épouse tant aimée, partie trop vite, partie trop tôt. Pas un jour sans l’idée obsédante que cette tragédie aurait pu être évitée s’ils avaient connu les risques encourus par Sylvaine en étant traitée par le 5-FU. Pas un jour sans que Roger ne se dise qu’il lui faut se battre pour que cette chimiothérapie ne fasse plus jamais de victime. Sylvaine s’en est allée le 1er août 2012. Elle avait 66 ans et laissait derrière elle un époux, deux grandes filles et quatre petits-enfants. Trois mois plus tôt, cette ancienne infirmière, puis cadre de santé, s’était retrouvée victime de violentes douleurs abdominales qui l’avaient conduite à consulter son médecin traitant. « Échographie, puis coloscopie, le diagnostic est tombé : cancer digestif… On l’a opérée rapidement pour lui retirer cette tumeur. Tous les examens étaient normaux, il n’y avait pas d’autres organes touchés. » Néanmoins, sur les 22 ganglions lymphatiques prélevés à proximité de la tumeur (cette analyse permet de préciser le stade de la maladie et le degré d’extension), 2 sont envahis par des cellules tumorales. « À l’issue de la RCP (réunion de concertation disciplinaire), la décision a été prise de lui faire une chimiothérapie à base de 5FU. » Sylvaine, résolument optimiste, garde le moral, elle se sent très bien et c’est sans appréhension qu’elle se rend le 10 juillet 2012 au centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne (CAL) pour sa première séance de chimiothérapie. D’autant plus confiante, que c’est dans cet établissement qu’elle a exercé pendant des décennies.
Classée sans suite
Ayant été équipée d’un port-àcath® (petit boîtier dans lequel sont injectés directement les médicaments), Sylvaine peut rentrer à domicile et mener une vie quasi normale pendant la phase de traitement. « Mais, dès le lendemain, elle a commencé à se sentir extrêmement mal ; puis, elle a développé des oedèmes partout, n’est plus parvenue à parler, ni manger, et a dû être hospitalisée en urgence, avant d’être transférée en réanimation. » Dialysée, placée dans un coma artificiel, Sylvaine décède quelques jours plus tard, le 1er août. Roger est terrassé par la douleur. Sur le moment, il attribue son départ brutal aux effets secondaires du traitement. « Mais, je me suis souvenu que, lorsqu’elle était allée en hôpital de jour pour sa première chimiothérapie, on lui avait proposé de rentrer dans un protocole de dépistage de l’enzyme DPD [à cette époque, il n’y avait aucune recommandation officielle, Ndlr]. Il s’agissait d’une simple prise de sang, elle a donné son accord. » Quand les résultats tomberont, il est trop tard, Sylvaine est déjà « partie » : la sexagénaire présentait un déficit total en DPD, ce qui l’empêchait d’éliminer le 5-FU. Le traitement devenait dès lors un poison mortel. « J’ai fait des recherches, je ne comprenais pas pourquoi ma femme n’avait pas bénéficié, avant la première séance, du test permettant de savoir si elle pouvait être traitée par le 5FU.» En novembre 2012, Roger décide de porter plainte contre le CAL. Mais l’affaire est classée sans suite. Motif : « auteur inconnu ». Roger ne se laisse pas décourager et fait appel. « Le tribunal de grande instance d’Aix a ordonné une enquête de gendarmerie, les médecins ont été interrogés, mais, le 15 janvier 2015, l’affaire a été à nouveau classée sans suite. C’est là que j’ai décidé de prendre un avocat (1), qui m’a conseillé d’aller plutôt au civil. Et le CAL a été condamné à me verser une indemnisation. Mais j’ai interjeté appel du jugement. » Roger mène aussi une action en justice parallèle au sein de l’association des victimes du 5FU, dont il est trésorier.
« On savait depuis longtemps les risques associés au 5-FU ; il ne s’agissait pas d’arrêter le traitement. Mais il fallait se battre pour imposer le dépistage. Pour moi, ce sont les instances, plus que les médecins, qui sont responsables du drame que j’ai vécu. Et, selon l’ANSM (agence du médicament), environ 80 % des patients ne bénéficieraient toujours pas du dépistage en France. Ça suffit, il faut tout faire pour éviter qu’il y ait d’autres victimes. »