Nice-Matin (Cannes)

« Que faire en cas de déficit partiel ? »

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Le Dr Eric François est oncologue au centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne.

Sachant depuis longtemps qu’une déficience en DPD rend dangereux, voire létal, le traitement par -FU, pourquoi les instances sanitaires ont-elles tant tardé à recommande­r le dépistage systématiq­ue ?

Le problème est extrêmemen­t complexe. Vous imaginez bien que si l’on disposait d’un test fiable, rapide et validé, il n’y aurait même pas discussion. En réalité, le test n’était pas rapide ni fiable. Mais je comprends bien sûr la colère des familles de victimes du -FU. Dans leur situation, j’aurais été animé des mêmes sentiments.

Que penser du test sanguin désormais disponible et accessible à tous les hôpitaux ? Et de façon plus globale, du dépistage systématiq­ue du déficit en DPD avant l’instaurati­on d’une chimiothér­apie à base de -FU ?

Ce test sanguin est en réalité basé sur un niveau de preuves très faible. Concernant le dépistage, il est très utile en cas de déficit complet, dans la mesure où il peut sauver des vies. Mais, il pose un vrai problème en cas de déficit partiel, ce qui est le cas pour  à  % de la population.

Pour quelles raisons est-il alors problémati­que ?

Je vais vous répondre à travers deux exemples. Celui d’une de mes patientes qui souffre d’un cancer du côlon métastasé ; elle m’a été adressée il y a  ans par un confrère varois, après qu’elle avait développé une toxicité très sévère au -FU. On a fait des recherches, elle présente un déficit important en DPD. On a cherché des alternativ­es au -FU, sans succès. En impasse thérapeuti­que, se sachant condamnée, elle a alors demandé qu’on lui refasse des séances de -FU. Et elle vit aujourd’hui plutôt bien. Le deuxième exemple concerne un patient jeune, atteint d’un cancer du côlon sans métastases, mais avec des ganglions atteints. Dans ce cas, est évoquée la possibilit­é d’une chimiothér­apie adjuvante ; elle n’est pas indispensa­ble, mais réduit le risque de récidives. Ce patient, alors que cela n’aurait pas dû être le cas, a été traité par du -FU, sans qu’un test n’ait été réalisé. Au bout de plusieurs séances, il a manifesté des signes d’une toxicité sévère. Le traitement a été interrompu, le test enfin réalisé, et il s’est avéré qu’il présentait un déficit partiel en DPD. Malheureus­ement, un an et demi plus tard, cet homme a développé des métastases. La seule chimio envisageab­le, le FU ne pouvant lui être prescrite, la seule issue pour lui, c’était les soins palliatifs. C’est là que l’on a décidé, avec lui, de ne pas tenir compte de la toxicité, et de tenter quand même le -FU, en le surveillan­t. Il a très bien répondu et il est toujours là.

Je veux souligner que pour ces deux patients que je viens de citer, mais je pourrais évoquer la situation de nombreux autres, la chimiothér­apie a pu être réalisée sans toxicité significat­ive.

En résumé, vous êtes favorable au test, mais vous pointez le risque d’une perte de chances pour les patients qui présentent un déficit partiel ?

C’est ça. C’est un grand oui pour le test à la recherche de déficit total. Mais si on met en évidence un déficit partiel – et c’est une situation fréquente –, on risque de ne pas traiter, ou de soustraite­r et de réduire les chances de guérison.

Quelle est la pratique aujourd’hui ?

Depuis de nombreux mois déjà, notre stratégie est la suivante : on réalise une analyse pour tous les patients et si, pour une raison technique ou autre, il n’est pas possible d’avoir un résultat rapide, se pose alors la question de l’évaluation du risque lié à la maladie et celui lié au traitement. Il est important à ce stade de rappeler que le -FU sauve des milliers de vies chaque année. Aussi, est-on confronté au problème de la balance bénéfice risque qui est parfois d’une redoutable complexité à évaluer.

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(Photo F. C.)

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