Cancers de la thyroïde : n’en fait-on pas trop ?
Le traitement du cancer de la thyroïde passe aujourd’hui par l’ablation de la glande. Cette solution radicale est-elle toujours justifiée ? Un spécialiste s’inscrit en faux
Lorsqu’une personne présente un petit nodule au niveau du poumon ou du sein, on n’opère pas systématiquement. Pourquoi le traitement est-il presque toujours radical lorsqu’il s’agit de la thyroïde ? » Spécialiste reconnu du cancer de la thyroïde, le Pr José Santini posait ainsi le débat autour de la prise en charge du cancer de la thyroïde, lors des 21es Assises d’ORL de Nice dont il assurait la présidence (1). « Lors des précédents congrès, nos homologues asiatiques, japonais et coréens en particulier, nous interrogeaient sur nos pratiques : “pourquoi, vous, Occidentaux, êtes aussi radicaux ?” Eux privilégient, dans l’immense majorité des cas, le traitement conservateur soit l’ablation de la seule partie malade de la thyroïde, plutôt que de l’ensemble de la glande. Et si on évoque le risque de récidives – estimé de 10 à 15 % – ils répondent que, si c’est le cas, ils les prennent en charge sans compromettre les chances de guérison. » Des affirmations étayées par des études conduites sur des milliers de patients atteints de cancer de la thyroïde et suivis pendant 15 à 20 ans.
Impact psychologique
Pourquoi les spécialistes français sont-ils si réticents à emboîter le pas de leurs homologues asiatiques ? « On utilise chez nous le principe de précaution… à l’envers ! On préfère tout enlever, en se disant qu’on s’affranchit ainsi du risque de récidive. Ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque la maladie peut récidiver à côté. » Mais ce n’est pas ce dernier argument qui fait, selon le Pr Santini, le plus pencher la balance en faveur du traitement conservateur. « L’ablation totale de la thyroïde implique pour le patient un traitement substitutif total et à vie, ce qui n’est pas toujours simple en termes de vécu. » L’actualité récente autour du Levothyrox le rappelait péniblement. Et le spécialiste enfonce le clou, en citant les résultats d’une étude récente. « Si 95 % des patients opérés pour un cancer de la thyroïde sont toujours vivants 10 ans après l’intervention, les résultats en termes de qualité de vie sont très moyens. » À l’opposé de ce qui est observé chez les patients ayant bénéficié d’un traitement conservateur. Comment interpréter ces différences ? Le Pr Santini propose des explications : « Certes, après un traitement conservateur, on doit aussi “aider” quelque temps la glande avec des apports hormonaux (2). Mais, lorsque l’on prend un demi-comprimé de thyroxine, c’est la glande thyroïde qui va réguler les niveaux ; le patient se retrouve dans une situation plus confortable au niveau psychologique. Il n’a pas ce sentiment de dépendance au médicament instauré par un traitement substitutif total, suite à une thyroïdectomie. » Bien évidemment, dans le cas de tumeurs particulièrement agressives, cette ablation de la thyroïde s’impose. Mais ils ne sont heureusement pas les plus nombreux. « Les cancers de la thyroïde de bas grade (taille inférieure à 2 cm), représentent 80 % des cancers qui touchent cet organe. Et sauf quelques cas particuliers, tous sont éligibles au traitement conservateur en ambulatoire. » Reste la question principale : ce traitement conservateur n’expose-t-il pas davantage
le patient au risque de rechute, associé au sentiment d’une épée de Damoclès sur la tête ? « Les conditions de surveillance sont évidemment très importantes. Si la thyroïde est conservée, il est évident que le patient doit être suivi régulièrement. »
La surveillance est très importante
1. Plus de 2150 ORL – dont beaucoup de jeunes chirurgiens – ont participé à ces 21es Assises d’ORL qui sont aujourd’hui la première manifestation francophone de la discipline.
2. De la thyroxine ou T4, une hormone thyroïdienne proposée comme traitement substitutif pour remplacer la thyroxine naturelle lorsque celle-ci n’est plus sécrétée en quantité suffisante par la thyroïde.