Nice-Matin (Cannes)

Cancers de la thyroïde : n’en fait-on pas trop ?

Le traitement du cancer de la thyroïde passe aujourd’hui par l’ablation de la glande. Cette solution radicale est-elle toujours justifiée ? Un spécialist­e s’inscrit en faux

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Lorsqu’une personne présente un petit nodule au niveau du poumon ou du sein, on n’opère pas systématiq­uement. Pourquoi le traitement est-il presque toujours radical lorsqu’il s’agit de la thyroïde ? » Spécialist­e reconnu du cancer de la thyroïde, le Pr José Santini posait ainsi le débat autour de la prise en charge du cancer de la thyroïde, lors des 21es Assises d’ORL de Nice dont il assurait la présidence (1). « Lors des précédents congrès, nos homologues asiatiques, japonais et coréens en particulie­r, nous interrogea­ient sur nos pratiques : “pourquoi, vous, Occidentau­x, êtes aussi radicaux ?” Eux privilégie­nt, dans l’immense majorité des cas, le traitement conservate­ur soit l’ablation de la seule partie malade de la thyroïde, plutôt que de l’ensemble de la glande. Et si on évoque le risque de récidives – estimé de 10 à 15 % – ils répondent que, si c’est le cas, ils les prennent en charge sans compromett­re les chances de guérison. » Des affirmatio­ns étayées par des études conduites sur des milliers de patients atteints de cancer de la thyroïde et suivis pendant 15 à 20 ans.

Impact psychologi­que

Pourquoi les spécialist­es français sont-ils si réticents à emboîter le pas de leurs homologues asiatiques ? « On utilise chez nous le principe de précaution… à l’envers ! On préfère tout enlever, en se disant qu’on s’affranchit ainsi du risque de récidive. Ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque la maladie peut récidiver à côté. » Mais ce n’est pas ce dernier argument qui fait, selon le Pr Santini, le plus pencher la balance en faveur du traitement conservate­ur. « L’ablation totale de la thyroïde implique pour le patient un traitement substituti­f total et à vie, ce qui n’est pas toujours simple en termes de vécu. » L’actualité récente autour du Levothyrox le rappelait péniblemen­t. Et le spécialist­e enfonce le clou, en citant les résultats d’une étude récente. « Si 95 % des patients opérés pour un cancer de la thyroïde sont toujours vivants 10 ans après l’interventi­on, les résultats en termes de qualité de vie sont très moyens. » À l’opposé de ce qui est observé chez les patients ayant bénéficié d’un traitement conservate­ur. Comment interpréte­r ces différence­s ? Le Pr Santini propose des explicatio­ns : « Certes, après un traitement conservate­ur, on doit aussi “aider” quelque temps la glande avec des apports hormonaux (2). Mais, lorsque l’on prend un demi-comprimé de thyroxine, c’est la glande thyroïde qui va réguler les niveaux ; le patient se retrouve dans une situation plus confortabl­e au niveau psychologi­que. Il n’a pas ce sentiment de dépendance au médicament instauré par un traitement substituti­f total, suite à une thyroïdect­omie. » Bien évidemment, dans le cas de tumeurs particuliè­rement agressives, cette ablation de la thyroïde s’impose. Mais ils ne sont heureuseme­nt pas les plus nombreux. « Les cancers de la thyroïde de bas grade (taille inférieure à 2 cm), représente­nt 80 % des cancers qui touchent cet organe. Et sauf quelques cas particulie­rs, tous sont éligibles au traitement conservate­ur en ambulatoir­e. » Reste la question principale : ce traitement conservate­ur n’expose-t-il pas davantage

le patient au risque de rechute, associé au sentiment d’une épée de Damoclès sur la tête ? « Les conditions de surveillan­ce sont évidemment très importante­s. Si la thyroïde est conservée, il est évident que le patient doit être suivi régulièrem­ent. »

La surveillan­ce est très importante

1. Plus de 2150 ORL – dont beaucoup de jeunes chirurgien­s – ont participé à ces 21es Assises d’ORL qui sont aujourd’hui la première manifestat­ion francophon­e de la discipline.

2. De la thyroxine ou T4, une hormone thyroïdien­ne proposée comme traitement substituti­f pour remplacer la thyroxine naturelle lorsque celle-ci n’est plus sécrétée en quantité suffisante par la thyroïde.

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(DR) Longtemps, on a dit que l’on opérait beaucoup de thyroïdes pour rien en France :   à   interventi­ons par an. Les risques liés au surdiagnos­tic sont moins importants.

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