Le Département condamné pour homicide involontaire
Le tribunal correctionnel de Nice a reconnu coupable, hier, le Conseil départemental, après l’éboulement mortel dans un tunnel à 2 360 m d’altitude, à St-Etienne-de-Tinée ,en2014
C’est une décision rare. Hier après-midi, le tribunal correctionnel de Nice a reconnu coupables d’homicide involontaire une collectivité territoriale, le Département des Alpes-Maritimes et deux de ses cadres. Ils étaient quatre à être poursuivis : les deux autres ont été relaxés. Mais la défense devrait interjeter appel. Le 31 juillet 2014, à Saint-Etiennede-Tinée, l’effondrement d’un tunnel ensevelit cinq personnes affairées sur un chantier, dans un tunnel, sur le sentier de l’Energie. Deux d’entre elles s’en sortent indemnes. Deux autres sont grièvement blessées. Jean-Philippe Bracchi, 53 ans, leur patron et ami, n’en réchappera pas. La disparition de ce montagnard de Saint-Martin-Vésubie sera un choc dans le haut pays. Des imprudences ont-elles pu contribuer à cet accident dramatique dans le Mercantour ? Telle était l’épineuse question débattue devant le tribunal correctionnel, le 10 novembre dernier.
D’un côté, une famille endeuillée et des travailleurs meurtris dans leur chair et leur mémoire. De l’autre, quatre agents du conseil départemental des Alpes-Maritimes (conseil général à l’époque des faits), responsables à des degrés divers de la gestion des risques et des espaces naturels. Ainsi que le Département, cité en tant que personne morale.
Durant les huit heures d’audience, les quatre prévenus déclinent toute responsabilité, renvoyant tour à tour la balle dans le camp du géologue qui avait donné son feu vert aux travaux (lui n’était pas poursuivi).
Imprudences coupables
La partie civile et le parquet, au contraire, pointent une légèreté coupable dans l’attribution de cette délicate mission à la société Bracchi. Avec l’issue fatale que l’on sait.
Quelques jours avant le drame, cette société en difficulté financière avait décroché un important marché public : la restauration des sentiers de randonnée. Mais ce chantier-là, Jean-Philippe Bracchi ne le sentait pas. Sa société n’était pas spécialisée en travaux acrobatiques. Il avait exprimé ses réserves, levées après l’avis du géologue.
À l’audience, le procureur Thomas Bride requiert trois mois de prison avec sursis contre chacun des prévenus et 6 000 à 10 000 euros d’amende. Pour le Département, la facture s’élèverait à 75 000 euros. Le tribunal correctionnel présidé par Anne Vincent l’a en partie suivi dans son délibéré. Il condamne deux responsables du conseil départemental – le directeur et le sous-directeur du service de la gestion des risques. Il leur inflige trois mois de prison avec sursis et, respectivement, 12 000 et 10 000 euros d’amende. Reconnu coupable également, le Département doit régler 40 000 euros d’amende. Un chef de service et son assistante sont, eux, relaxés.
Nouveau procès en vue
L’affaire n’en restera sans doute pas là. Me Gérard Baudoux, qui assurait la défense avec Me Christophe Pichon, attend de connaître les motivations du tribunal. Mais il annonce qu’il « interjettera vraisemblablement appel ». Nouveau procès en vue, donc, à Aix-en-Provence. Le pénaliste n’en démord pas : « Ce dossier aurait dû être traité dans le cadre d’une information judiciaire, et non d’une enquête préliminaire. Par ailleurs, je n’ai toujours pas compris que le géologue n’ait pas été poursuivi, car il a déclaré des choses symétriquement contraires aux déclarations de Mme Bracchi [la veuve du défunt]. S’il avait signalé la moindre dangerosité à ce moment-là, le conseil départemental aurait arrêté les travaux. »
Sans surprise, la décision du tribunal est accueilie tout autrement par les parties civiles. Me Philippe Magnan, qui représentait avec Me Olivia Peraldi les proches de JeanPhilippe Bracchi, a annoncé la nouvelle à la soeur de la victime. « Elle était contente de voir reconnue la culpabilité, même si deux cadres ont été relaxés. Pour elle, “Justice est passée”, alors que tous étaient dans le déni. Après autant d’années de procédure, c’est une satisfaction. »