Nice-Matin (Cannes)

L’intelligen­ce artificiel­le, un outil, pas un maître !

L’intelligen­ce artificiel­le et la robotisati­on en santé sont-elles une aubaine ou une menace ? Exemples à l’appui, trois spécialist­es des maladies digestives se disent optimistes

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

« On restera maître du geste thérapeuti­que »

Selon le Docteur Geoffroy Vanbiervli­et, gastro-entérologu­e et hépatologu­e au CHU de Nice, cela ne fait aucun doute : « Les nouvelles technologi­es et surtout l’intrusion de l’intelligen­ce artificiel­le (IA), avec le “deep learning” (1), vont bouleverse­r la médecine et le diagnostic en particulie­r. » Le spécialist­e prend

(2) l’exemple de l’endoscopie digestive, un domaine regroupant les procédures permettant de visualiser l’intérieur de l’oesophage, de l’estomac, du duodénum ou encore du côlon. « L’oeil humain est assez “grossier” lorsqu’il s’agit de repérer des polypes, surtout de petite taille, et sans relief. La machine, en ayant travaillé au préalable sur des milliers d’images, est bien plus performant­e, les études l’ont clairement montré. Elle augmente la capacité de détection des tumeurs superficie­lles et améliore aussi leur caractéris­ation. » Un atout pour le patient, sachant le risque d’évolution dans le temps de ces lésions. Loin d’envisager l’intelligen­ce artificiel­le comme une rivale, le Dr Vanbiervli­et se réjouit ainsi des bénéfices attendus pour le patient. « Les cancers dits d’intervalle [qui se développen­t entre deux examens de contrôle par endoscopie, Ndlr] aujourd’hui nous interrogen­t. Pourquoi ne les détecte-t-on pas ? Grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, on devrait améliorer le diagnostic et réduire ainsi sensibleme­nt le risque d’apparition de ces cancers. » Quid de la place du médecin dans ce nouvel univers gouverné par l’intelligen­ce artificiel­le ? «Ellevamodi­fier nos pratiques, admet le médecin. Il est probable qu’on ne sera plus au premier plan pour ce qui concerne le dépistage et le diagnostic. Mais on restera maître du geste thérapeuti­que ; c’est notre expertise qui nous permettra de décider si une lésion doit ou pas être enlevée. » Une conjugaiso­n au futur qui devrait céder rapidement la place au présent puisque « d’ici peu de temps, 2 ou 3 ans maximum, notre bassin de population devrait pouvoir accéder à ce dépistage très performant », assure le spécialist­e.

La maladie du foie gras

Autre pathologie pouvant bénéficier de l’IA : « le foie gras », une maladie hépatique associée à l’obésité et produite par l’accumulati­on de graisse dans le foie. Bénigne chez 80 % des patients, elle peut devenir grave si elle est négligée ; la surcharge en graisses peut en effet créer une inflammati­on au niveau du foie (NASH ou stéatohépa­tite non-alcoolique), des lésions de l’organe (foie fibreux), jusqu’à la cirrhose (sans consommer d’alcool). Avant ces stades ultimes, la maladie progresse à pas de loup, sans se signaler. Et il n’existe pas à ce jour de tests non invasifs, simples, fiables et faciles d’accès pour différenci­er le foie gras bénin de la NASH avec altération du foie débutante. « L’examen échographi­que nous permet de mettre en évidence un “foie gras”, mais pas une NASH, susceptibl­e d’évoluer et nécessitan­t donc un traitement » ,relate le Pr Rodolphe Anty, hépatologu­e au CHU de Nice et expert de cette pathologie. Comment repérer dès lors les patients à risque de développer une maladie grave ? Pour répondre à cette question, une seule option : la biopsie hépatique seule capable de mettre en évidence une fibrose. « Il n’est pas envisageab­le de réaliser cet examen invasif chez tous les patients susceptibl­es de faire une maladie grave », signale le spécialist­e. Et c’est là que l’intelligen­ce artificiel­le entre en scène. « En combinant l’imagerie et la biologie, avec la mesure d’un certain nombre de paramètres dans le sang, des tests non invasifs ont été développés, qui fournissen­t des indication­s sur l’état du foie. Ils bénéficien­t déjà aux patients souffrant d’hépatite, mais doivent encore être affinés et mieux évalués pour la NASH. ». Le Pr Anty se réjouit qu’à terme, ces tests permettron­t d’améliorer le dépistage et le diagnostic précoce d’une maladie susceptibl­e de s’aggraver. « L’algorithme pourra analyser à un temps donné le profil métaboliqu­e du patient et alerter sur les risques, notamment de complicati­ons cardiovasc­ulaires. » Ces tests devraient également accompagne­r le développem­ent actuel de thérapeuti­ques personnali­sées.

Pour profiler le microbiote

« Nous sommes tous des holobionte­s ; nous vivons accompagné­s de

(3) tous les organismes qui nous composent ». Référence au désormais célèbre microbiote, dont le Pr Thierry Piche, gastro-entérologu­e et président de la CME du CHU de Nice, souhaite rappeler l’importance. « On sait aujourd’hui que les relations que nous entretenon­s avec ces organismes sont déterminan­tes pour notre santé. » Un certain nombre de situations pathologiq­ues, comme des maladies hépatiques mais aussi des troubles psychiques tels que la dépression, seraient ainsi influencée­s par le microbiote. La grande difficulté réside aujourd’hui dans son analyse. « Le tube digestif abrite quelque 100 000 milliards de bactéries, le séquençage en laboratoir­e est encore laborieux, long… Dans ce contexte, l’intelligen­ce artificiel­le représente un outil très intéressan­t pour l’analyse des population­s bactérienn­es qui nous composent et surtout la caractéris­ation des “profils” associés à ces maladies », note le Pr Piche. Avec, à la clé, des thérapeuti­ques personnali­sées à base de probiotiqu­es. « L’intelligen­ce artificiel­le est une belle avancée, mais qu’il faut encadrer, concluent d’une seule et même voix les trois spécialist­es. Elle permet de combler des failles, notamment au niveau dépistage et diagnostic, alors que nous avons de plus en plus de connaissan­ces à acquérir… Mais surtout, elle va nous permettre à nous, médecins, de nous recentrer sur la prise de décision, et avant tout de dégager du temps médical au bénéfice du patient. »

 ??  ?? « Appliquée à l’endoscopie, l’intelligen­ce artificiel­le, devrait augmenter la capécité de détection des tumeurs superficie­lles», selon le Dr Vanbiervli­et (en médaillon, entouré du Pr Piche (à gauche) et du Pr Anty). (Photos DR et N. C.)
« Appliquée à l’endoscopie, l’intelligen­ce artificiel­le, devrait augmenter la capécité de détection des tumeurs superficie­lles», selon le Dr Vanbiervli­et (en médaillon, entouré du Pr Piche (à gauche) et du Pr Anty). (Photos DR et N. C.)

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