Le sculpteur des stars sur la Croisette n’est plus
Pendant quarante ans, Eugène Yde s’est installé sur la Croisette durant le Festival, afin de tailler dans le bois le visage des vedettes. Décédé le 13 février, « Toto » sera incinéré demain
Àsa façon, c’était lui aussi une vedette. Lui, le sculpteur de la Croisette. Immanquablement, durant quarante ans, Eugène s’est posé là, à deux pas du tapis rouge qu’il n’a jamais foulé, pour tailler dans la souche le visage de ces vedettes qui le faisaient rêver. Mais Eugène Yde ne snobait pas non plus les promeneurs anonymes. Car il mettait son talent, et sa faconde, au service de chacun. Faisait star de tout bois. Surnommé Toto, il aurait pu être l’antihéros d’un film de Jaco Van Dormael. Imparfait certes, mais terriblement humain.
L’Art-DN dans la peau !
« Mon père était un vrai humaniste, toujours tourné vers les autres. On aurait dit un ange venu sur terre pour faire le bien, souligne sa fille Alexandra. Des sculptures de mon père, il y en a disséminées un peu partout dans le monde, car parfois, même des émirs lui commandaient le portrait de leurs enfants. » Finalement peu d’amis, mais tant de connaissances, au hasard des promenades littorales. Et puis Bibiche, l’amie fidèle qu’il avait pris sous son aile, pour l’accompagner partout, tout le temps. « Il m’a connu bébé ! », s’exclame l’intéressée. Dans une autre vie, alors qu’il était ambulancier, il aurait conduit la mère à la maternité, juste avant l’heureux évènement. Avant de la retrouver bien plus tard à Cannes, pour ne plus se quitter.
Ancien peintre en bâtiment, Eugène était devenu une figure incontournable du tableau cannois. Mais lui se rêvait un rôle sur une autre scène. Dans son petit studio au Cannet, un accordéon et de vieilles affiches témoignent d’une carrière avortée, son éternel regret. « Depuis toujours, il était fasciné par le music-hall, il chantait, jouait de l’instrument, voulait être artiste », confirme Alexandra, elle aussi touchée par cet ADN puisqu’elle fut longtemps danseuse de cabaret. « Sur la Croisette ou sur un bout de trottoir, il chantait à tout va, Gamin de Paris. Il faisait tout à coup le poirier, c’était un clown de rue ! » Faute de concerts ou représentations, Eugène s’était voué à son autre vocation au bord de la Méditerranée. « En arrivant à Cannes, il s’est trouvé une prédisposition pour la sculpture sur bois. C’était un autodidacte, et ça remplissait sa vie. » D’autant plus que les souches de cèdre ou cyprès l’ont finalement rapproché de ses « modèles » cinéma.
Bébel et Bardot !
« Mon papa était fan de Belmondo, il lui avait fait sa sculpture, et Bébel ne manquait pas de le voir sur la Croisette. Tout comme Jean Marais, se souviennent encore ses proches. Mais au fil des années, il regrettait que le festival ne soit plus ce qu’il était, et que les stars ne se mêlent plus à la foule, comme autrefois…»
Le bois lui aura quand même permis de toucher une autre idole du doigt : Brigitte Bardot. Dans les années 1990, le voilà qui façonne l’icône érotique de la Madrague, grandeur nature. Et le bougre obtient même de lui remettre en mains propres !
Bibiche se rappelle : «Il avait délicatement enveloppé sa sculpture dans plein de couvertures, pour ne surtout pas l’abîmer durant le transport. » D’une DS Citroën, à une autre déesse… L’oeuvre trône désormais au Musée BB, à St-Tropez. Ironie du sort, quelques années plus tard, Alexandra sera le sosie officiel de Brigitte Bardot ! Mais ça, c’est une autre histoire…