La grève a-t-elle dopé le télétravail ?
Employeurs réticents, salariés hésitants : l’organisation a du mal à prendre. Ses atouts sont évidents lors d’une grève des transports. Un Mouginois explique pourquoi il a choisi de travailler depuis son domicile
C’est un pionnier. Un expert du télétravail, qu’il pratique à Mougins pour un employeur parisien. Depuis huit ans. Un record.
Nicolas, 41 ans, ouvre chaque matin l’ordinateur portable dont son employeur l’a équipé, et qui ne quitte quasiment pas la table du salon. Les journées, à la maison, peuvent être longues. Mais elles se déroulent selon un rythme conciliant autonomie, rigueur et liberté. Un équilibre auquel Nicolas ne renoncerait pour rien au monde, et qu’il a pourtant trouvé par le plus grand des hasards.
« Je travaillais depuis trois mois à Paris, dans l’audiovisuel, lorsque mon épouse a trouvé un emploi à Cannes, sa ville d’origine. J’ai expliqué à mon boss que je voulais une rupture de contrat pour suivi de conjoint, ce qu’il a refusé. Il tenait à notre collaboration, voilà comment tout a commencé. »
Sa mission, Nicolas peut l’accomplir à distance sans le moindre préjudice puisque, chargé de clientèle, il étudie des demandes, élabore des devis, lance des programmes de travaux que réalise une équipe de techniciens. Puis facture le tout dans le délai imparti, souvent court. Résultat : «Je me mets au travail à 8 h 30 et il m’arrive de finir à 23 heures quand j’ai beaucoup de boulot. Aussi pour une raison simple : quand je reçois un e-mail des États-Unis, je préfère répondre aussitôt plutôt que d’attendre le lendemain. Ce qui m’évite de perdre vingt-quatre heures. »
La grève démultiplie le gain de temps et de tracas. Mais l’avantage va au-delà. « Zéro trajet, c’est une économie sur tous les plans. » Une pause à midi : « Je déjeune avec ma femme qui rentre à la maison. »
Une autre pour aller chercher les enfants à l’école ; c’est un rituel. «Je m’y remets jusqu’à 18 h 30 ou 19 heures. quand le programme est calme. » Avec des budgets qu’il urge de consommer avant le 31 décembre, les clients se précipitent en fin d’année et se font désirer un peu plus en janvier.
« Certains pourraient être tentés de faire un tour, ou des courses, ce n’est pas mon cas. Le télétravail suppose une certaine rigueur, sans quoi ça ne marcherait pas bien longtemps avec l’employeur. » Son épouse, qui se rend au bureau tous les jours, n’en rêve pas : « Au contraire, elle ne comprend pas que je puisse commencer à bosser avant d’avoir fait le lit ou rangé la vaisselle du petit déjeuner.
C’est comme ça : je le fais quand je veux. » Y compris en short, voire en pyjama.
« Plus productif qu’au bureau »
Le télétravail ne risque-t-il pas de conduire à l’isolement ? Pas vraiment, assuret-il. Ou plutôt : « Si oui, je ne m’en porte pas plus mal. » Lorsqu’il lui arrive de monter à Paris pour une réunion, il apprécie sa décentralisation personnelle : « Entendre tout le monde hurler au téléphone dans un open-space, non merci. Finalement, je me sens bien plus productif à la maison que je ne le suis au bureau. »
Les échanges avec la direction se font, la plupart du temps, au téléphone, par Skype ou par e-mail. « Casanier », Nicolas n’en est pas pour autant tire-au-flanc : « Il m’arrive de prendre mon ordi au bord de la piscine, ce qui ne m’empêche pas de travailler. »
D’autres, il le sait, ne supporteraient cette façon de fonctionner. Seul à télétravailler à temps complet parmi une centaine de salariés, il a vu ce principe s’étendre progressivement : «Des collègues y viennent un peu, mais c’est encore exceptionnel. À cause de la grève, certains sont quand même obligés de poser des congés. » Les petites jalousies du début n’ont pas duré. «Le patron leur a dit qu’on pourrait en discuter quand tout le monde aurait des chiffres aussi bons que les miens. » Sans être rétribué à la commission, il est soumis à un objectif. Et s’il fallait adopter un rythme plus conventionnel ? « Retourner à un poste normal, pour moi, ce serait très compliqué. »