Alzheimer : un test décrié par les spécialistes
Présenté comme une révolution pour le dépistage de la maladie d’Alzheimer le test sanguin mis sur le marché est fortement décrié par les spécialistes, à l’instar du Pr Alain Pesce
Un test sanguin, disponible sur prescription, et capable de déterminer dès les premiers signes d’alerte si un sujet est atteint de la maladie d’Alzheimer. Présenté dans la presse comme une avancée majeure dans la prise en charge de cette maladie neurodégénérative, le dispositif mis au point et commercialisé depuis quelques jours par une entreprise de biotechnologie parisienne, Alzohis, est vivement décrié par des experts de la maladie d’Alzheimer, à l’instar du Pr Philippe Robert (ICP, Nice) et du Pr Alain Pesce, responsable du Centre mémoire au centre hospitalier Princesse-Grace. Ce dernier nous explique les raisons de sa colère.
Les demandes ont-elles été nombreuses depuis l’annonce de la mise sur le marché du Noratest ?
On est littéralement assaillis de demandes et on freine des quatre fers. Les patients insistent, on doit expliquer qu’il n’est pas validé, que l’entreprise n’a, ellemême, conduit aucune étude scientifique.
Que pensez-vous justement de ce test ?
Il ne vaut rien. Et je suis stupéfait qu’il ait obtenu une autorisation de mise sur le marché.
Dire que ce test permet de faire le diagnostic précoce est grave ; il faut savoir qu’il est très difficile aujourd’hui, et en dépit des moyens très sophistiqués dont on dispose, de faire le diagnostic de maladies neurodégénératives. Même la ponction lombaire, qui est le standard – et le seul moyen d’éliminer le diagnostic de maladie d’Alzheimer – n’est pas efficace à %. Et là, avec le Noratest, on propose un score de diagnostic de la maladie principalement basé sur des données archaïques : l’âge – oui, plus on est âgé, plus on a de risque ! –, le sexe – les femmes sont plus touchées que les hommes – et le MMS (Mini Mental Score). Sachant qu’on peut tout à fait avoir un MMS normal et un Alzheimer débutant. Et inversement. Le MMS n’est pas spécifique, il est utilisé pour le suivi des patients déjà diagnostiqués. Et surtout, on n’y a pas recours aux stades précoces.
Le test tient compte aussi des catécholamines.
Aucune étude n’a démontré que la mesure de catécholamines permettait de faire le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ni d’ailleurs de faire le distinguo avec d’autres maladies neurodégénératives.
Pour moi, le raisonnement qui a conduit à l’élaboration du test est complètement faux à la base. Et l’utilisation des outils, complètement farfelue ; on mélange l’âge, le sexe, le MMS pour savoir si c’est un Alzheimer, une maladie à corps de
Lewy ou une dégénérescence lobaire fronto-temporale, ce n’est pas très sérieux.
Le Noratest préfigure pourtant la médecine du futur : l’intelligence artificielle au service de la santé.
On est, en effet, ici confronté au problème du diagnostic par des robots. Je n’y suis pas opposé, et cela a déjà fait ses preuves. Mais généralement, on utilise, pour développer des algorithmes, des informations plus spécifiques que l’âge le sexe ou le MMS ! Les fabricants eux-mêmes reconnaissent d’ailleurs les limites de leur dispositif, puisqu’il est écrit sur la notice, que les résultats, quels qu’ils soient – suspicion ou pas de maladie d’Alzheimer – doivent inciter à poursuivre le parcours diagnostique par la réalisation d’examens complémentaires (ceux que l’on propose déjà), pour confirmer ou infirmer le résultat. En clair, le test ne sert à rien.
Plus globalement, êtes-vous défavorable au développement de tests de dépistage à des stades très précoces ?
Non, mais ce type de test devrait être réservé à la recherche. Je m’explique : dans la maladie d’Alzheimer, il existe trois phases : la phase présymptomatique, qui peut durer dix ans, et pendant laquelle la personne n’a aucun symptôme, alors que la ponction lombaire peut déjà être perturbée. Suivent la phase prodromale, qui voit le langage et la mémoire commencer à être affectés – mais la personne reste autonome – et enfin la phase de démence : la maladie commence alors à retentir sur la vie quotidienne, sur l’autonomie. Un test fiable pourrait permettre de tester, chez des patients à un stade très débutant (préclinique), des médicaments sans imposer de ponction lombaire. Mais pour l’instant, ces médicaments n’existent pas. Et ces tests non plus.
Mais ils devraient bientôt arriver sur le marché. Sachant qu’il n’existe pas de traitements curatifs, leur utilisation estelle éthique ?
Hors domaine de la recherche, il est certain que ce type de tests pose des questions éthiques : lorsqu’un médecin, gériatre, généraliste, ou neurologue, pourra prescrire un test capable d’indiquer à une personne en bonne santé qu’elle va développer la maladie, mais qu’il n’y a pas de traitement, on imagine les conséquences psychologiques.
Certains mettent en avant le bénéfice des thérapies non médicamenteuses
Effectivement, elles permettent d’améliorer la qualité de vie des patients et des aidants et il est intéressant de les mettre en place de façon précoce. Faire un diagnostic précoce, bien encadré, chez des personnes qui ont des problèmes de langage, de mémoire, peut avoir du sens, dans la mesure aussi où cela permettra d’identifier rapidement les personnes susceptibles de bénéficier de thérapeutiques nouvelles. Mais, il faut être absolument certain du diagnostic pour ça. Les médicaments contre Alzheimer ne seront pas des molécules anodines, elles auront certainement des effets secondaires. Faire du dépistage de masse n’est pas une bonne solution.
Quelle solution ?
Je n’ai pas de solution. On doit dès aujourd’hui mener une réflexion éthique sur ce que l’on fera demain lorsque l’on disposera – et cela ne fait aucun doute – d’un test fiable permettant de faire le diagnostic chez des personnes qui ne présentent pas de symptôme. À qui le proposera-t-on ? Comment accompagnera-t-on la prescription et l’annonce des résultats ? Pour le Noratest, il n’y a eu aucune réflexion préalable. On en parle dans les journaux. On dit aux gens : faites-vous prescrire le test, et ensuite débrouillez-vous ! La personne reçoit les résultats à la maison, il peut y être inscrit suspicion de maladie d’Alzheimer. Et si elle se suicide ? Alors qu’elle n’a peutêtre pas la maladie ? C’est une énorme responsabilité.
« Dire que ce test permet de faire un diagnostic précoce est grave » Pr Alain Pesce Gérontologue et responsable du Centre mémoire au CHPG