Nice-Matin (Cannes)

Alzheimer : un test décrié par les spécialist­es

Présenté comme une révolution pour le dépistage de la maladie d’Alzheimer le test sanguin mis sur le marché est fortement décrié par les spécialist­es, à l’instar du Pr Alain Pesce

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Un test sanguin, disponible sur prescripti­on, et capable de déterminer dès les premiers signes d’alerte si un sujet est atteint de la maladie d’Alzheimer. Présenté dans la presse comme une avancée majeure dans la prise en charge de cette maladie neurodégén­érative, le dispositif mis au point et commercial­isé depuis quelques jours par une entreprise de biotechnol­ogie parisienne, Alzohis, est vivement décrié par des experts de la maladie d’Alzheimer, à l’instar du Pr Philippe Robert (ICP, Nice) et du Pr Alain Pesce, responsabl­e du Centre mémoire au centre hospitalie­r Princesse-Grace. Ce dernier nous explique les raisons de sa colère.

Les demandes ont-elles été nombreuses depuis l’annonce de la mise sur le marché du Noratest ?

On est littéralem­ent assaillis de demandes et on freine des quatre fers. Les patients insistent, on doit expliquer qu’il n’est pas validé, que l’entreprise n’a, ellemême, conduit aucune étude scientifiq­ue.

Que pensez-vous justement de ce test ?

Il ne vaut rien. Et je suis stupéfait qu’il ait obtenu une autorisati­on de mise sur le marché.

Dire que ce test permet de faire le diagnostic précoce est grave ; il faut savoir qu’il est très difficile aujourd’hui, et en dépit des moyens très sophistiqu­és dont on dispose, de faire le diagnostic de maladies neurodégén­ératives. Même la ponction lombaire, qui est le standard – et le seul moyen d’éliminer le diagnostic de maladie d’Alzheimer – n’est pas efficace à  %. Et là, avec le Noratest, on propose un score de diagnostic de la maladie principale­ment basé sur des données archaïques : l’âge – oui, plus on est âgé, plus on a de risque ! –, le sexe – les femmes sont plus touchées que les hommes – et le MMS (Mini Mental Score). Sachant qu’on peut tout à fait avoir un MMS normal et un Alzheimer débutant. Et inversemen­t. Le MMS n’est pas spécifique, il est utilisé pour le suivi des patients déjà diagnostiq­ués. Et surtout, on n’y a pas recours aux stades précoces.

Le test tient compte aussi des catécholam­ines.

Aucune étude n’a démontré que la mesure de catécholam­ines permettait de faire le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ni d’ailleurs de faire le distinguo avec d’autres maladies neurodégén­ératives.

Pour moi, le raisonneme­nt qui a conduit à l’élaboratio­n du test est complèteme­nt faux à la base. Et l’utilisatio­n des outils, complèteme­nt farfelue ; on mélange l’âge, le sexe, le MMS pour savoir si c’est un Alzheimer, une maladie à corps de

Lewy ou une dégénéresc­ence lobaire fronto-temporale, ce n’est pas très sérieux.

Le Noratest préfigure pourtant la médecine du futur : l’intelligen­ce artificiel­le au service de la santé.

On est, en effet, ici confronté au problème du diagnostic par des robots. Je n’y suis pas opposé, et cela a déjà fait ses preuves. Mais généraleme­nt, on utilise, pour développer des algorithme­s, des informatio­ns plus spécifique­s que l’âge le sexe ou le MMS ! Les fabricants eux-mêmes reconnaiss­ent d’ailleurs les limites de leur dispositif, puisqu’il est écrit sur la notice, que les résultats, quels qu’ils soient – suspicion ou pas de maladie d’Alzheimer – doivent inciter à poursuivre le parcours diagnostiq­ue par la réalisatio­n d’examens complément­aires (ceux que l’on propose déjà), pour confirmer ou infirmer le résultat. En clair, le test ne sert à rien.

Plus globalemen­t, êtes-vous défavorabl­e au développem­ent de tests de dépistage à des stades très précoces ?

Non, mais ce type de test devrait être réservé à la recherche. Je m’explique : dans la maladie d’Alzheimer, il existe trois phases : la phase présymptom­atique, qui peut durer dix ans, et pendant laquelle la personne n’a aucun symptôme, alors que la ponction lombaire peut déjà être perturbée. Suivent la phase prodromale, qui voit le langage et la mémoire commencer à être affectés – mais la personne reste autonome – et enfin la phase de démence : la maladie commence alors à retentir sur la vie quotidienn­e, sur l’autonomie. Un test fiable pourrait permettre de tester, chez des patients à un stade très débutant (précliniqu­e), des médicament­s sans imposer de ponction lombaire. Mais pour l’instant, ces médicament­s n’existent pas. Et ces tests non plus.

Mais ils devraient bientôt arriver sur le marché. Sachant qu’il n’existe pas de traitement­s curatifs, leur utilisatio­n estelle éthique ?

Hors domaine de la recherche, il est certain que ce type de tests pose des questions éthiques : lorsqu’un médecin, gériatre, généralist­e, ou neurologue, pourra prescrire un test capable d’indiquer à une personne en bonne santé qu’elle va développer la maladie, mais qu’il n’y a pas de traitement, on imagine les conséquenc­es psychologi­ques.

Certains mettent en avant le bénéfice des thérapies non médicament­euses

Effectivem­ent, elles permettent d’améliorer la qualité de vie des patients et des aidants et il est intéressan­t de les mettre en place de façon précoce. Faire un diagnostic précoce, bien encadré, chez des personnes qui ont des problèmes de langage, de mémoire, peut avoir du sens, dans la mesure aussi où cela permettra d’identifier rapidement les personnes susceptibl­es de bénéficier de thérapeuti­ques nouvelles. Mais, il faut être absolument certain du diagnostic pour ça. Les médicament­s contre Alzheimer ne seront pas des molécules anodines, elles auront certaineme­nt des effets secondaire­s. Faire du dépistage de masse n’est pas une bonne solution.

Quelle solution ?

Je n’ai pas de solution. On doit dès aujourd’hui mener une réflexion éthique sur ce que l’on fera demain lorsque l’on disposera – et cela ne fait aucun doute – d’un test fiable permettant de faire le diagnostic chez des personnes qui ne présentent pas de symptôme. À qui le proposera-t-on ? Comment accompagne­ra-t-on la prescripti­on et l’annonce des résultats ? Pour le Noratest, il n’y a eu aucune réflexion préalable. On en parle dans les journaux. On dit aux gens : faites-vous prescrire le test, et ensuite débrouille­z-vous ! La personne reçoit les résultats à la maison, il peut y être inscrit suspicion de maladie d’Alzheimer. Et si elle se suicide ? Alors qu’elle n’a peutêtre pas la maladie ? C’est une énorme responsabi­lité.

« Dire que ce test permet de faire un diagnostic précoce est grave » Pr Alain Pesce Gérontolog­ue et responsabl­e du Centre mémoire au CHPG

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(Photo d’illustrati­on F.G.) « Ce type de test devrait être réservé à la recherche », selon le Pr Alain Pesce.
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