Nice-Matin (Cannes)

« Je ne veux pas être obligée de l’envoyer en Belgique »

Au lendemain des annonces par Emmanuel Macron de mesures en faveur des personnes porteuses de handicap, deux familles pointent le défaut de structures d’accueil

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

C« onnaîtriez-vous l’existence d’un centre de soins, proposant de la psychologi­e comporteme­ntale, des médecines douces, et des thérapies nouvelles ? Je ne sais pas exprimer mes souhaits, mais vous voyez bien ce que je veux dire, j’en suis sûre. Je ne veux pas être obligée de l’envoyer en Belgique ni d’envisager une solution définitive… » Ilyades courriers qui arrivent sur votre bureau et auxquels vous ne pouvez pas rester insensible. Les mots à la fois pudiques et désespérés que nous a adressés Anne (1), une Mentonnais­e de 79 ans, racontent une vie obsessionn­ellement dédiée à chercher une place, la bonne place pour un enfant, puis un adulte, différent. Un parcours tristement commun à des milliers d’autres familles. Anne entretient avec sa fille Marie, 52 ans, autiste, des relations fusionnell­es. Elles respirent l’une par l’autre. L’une pour l’autre. Les douleurs de la fille sont les douleurs de la mère. Et inversemen­t. Même si chacune essaie de protéger l’autre. Une relation sur laquelle René, l’époux et le père, pose un regard à la fois compréhens­if et critique. Il sait dater la naissance de cette relation, et elle est bien plus ancienne que le diagnostic d’autisme, posé lorsque Marie avait 26 ans. Jusque-là, elle était simplement décrite comme « bizarre ». Mais bizarre, elle ne l’a pas toujours été. Jusqu’à l’âge de 11 mois, rien dans son comporteme­nt n’avait éveillé le moindre soupçon sur un potentiel trouble mental. « Lorsqu’elle a eu 11 mois, Marie a dû subir une opération pour une hernie hiatale. Elle est restée trois semaines hospitalis­ée, mains attachées – pour qu’elle n’arrache pas son drain – et nous n’avions pas le droit, pour des raisons d’asepsie, de la voir. Ou seulement rapidement, à travers une vitre, ce qui augmentait ses pleurs. » Dès sa sortie d’hôpital, la fillette manifeste des troubles. « Elle est devenue extrêmemen­t sensible, restait sans cesse accrochée à sa mère… », se souvient René.

« On la disait caractérie­lle »

Après cet épisode, Anne et René vont « faire avec » les spécificit­és de leur fille, sans même les associer à ce qu’elle a vécu. Marie est intelligen­te, elle sait très vite lire, écrire, manifeste des talents artistique­s… Mais, elle se tient un peu à l’écart des autres enfants. « Elle ne restait auprès d’eux qu’un court moment, avant de s’isoler. » Lorsque Marie a 7 ans, ses parents, originaire­s du Rhône, déménagent à Menton. Un autre épisode médical va perturber la fillette. « Marie a été prise d’un prurit au niveau des parties intimes. On l’a conduite à Lenval où elle a subi un prélèvemen­t vaginal… » Nouvelle aggravatio­n de ses troubles du comporteme­nt. Marie aura par la suite une scolarité très chaotique. Ses parents s’adaptent autant qu’ils le peuvent à ses singularit­és, sur lesquelles aucun mot n’est encore posé. « On la disait caractérie­lle. » Ils évitent toutes les situations et les lieux susceptibl­es de la déstabilis­er : les endroits bruyants, la foule… À 15 ans, Marie rejoint l’institut médico-éducatif Bariquand Alphand à Menton. Mais « c’est de la voir ou de l’appeler ; il s’agissait de couper le lien fusionnel. » Anne pleure beaucoup mais accepte la séparation. Marie elle aussi souffre, fait des fugues, mais finit par s’apaiser. « Pendant ces 13 ans, elle a considérab­lement progressé ; elle avait des activités dans tous les domaines, ce qui l’empêchait par ailleurs de broyer du noir. »

« Ils ont saccagé Marie »

Marie réclame quand même sa mère, qui lui envoie des colis régulièrem­ent. Et le couple se rend aussi souvent qu’il le peut sur place. Mais, avec l’âge, ces déplacemen­ts deviennent des épreuves. « On s’est dit qu’il fallait que l’on trouve une solution plus proche de notre domicile. » Lorsqu’ils apprennent l’ouverture d’un centre pour adultes handicapés à Cannes, ils sont soulagés. «On a pensé : c’est idéal… La réalité, c’est qu’ils ont saccagé Marie. » Totalement désoeuvrés, encadrés par du personnel non formé, les résidents se battent entre eux, les familles se plaignent des conditions d’accueil, on leur répond : « On n’est pas au Club Med ! » L’ARS interviend­ra et suspendra l’activité de l’établissem­ent. Les parents sont incités à reprendre leur enfant. Pendant les deux ans qui suivront, Marie restera ainsi au domicile de ses parents. Faute d’occupation­s, elle se sent mal dans sa peau, s’énerve, claque les portes… René et Anne visitent une dizaine d’établissem­ents et n’essuient que des refus : « “Pas de place, on la met sur liste d’attente”, ou alors “pas le profil”, “trop atteinte”… » Enfin, au bout de 4 ans, une solution se dessine. « Nous avons trouvé dans les Alpes-Maritimes un établissem­ent agréable où elle semblait se plaire. Le personnel est bienveilla­nt, et elle, très affectueus­e, y est sensible. Malheureus­ement, il y a très peu d’activités cognitives et sportives. Elle a des ressources personnell­es qui la poussent à s’occuper comme elle peut : puzzle, mandala, écoute musicale. » Mais ses week-ends tous les quinze jours chez ses parents montrent une régression préjudicia­ble à une évolution harmonieus­e. Sous neurolepti­ques, Marie a pris du poids, elle souffre de dyskinésie­s et de TOC. Anne tente de convaincre le psychiatre de corriger le traitement. Sans succès. Alors Anne est inquiète. Elle ressent sa fille en souffrance et appréhende considérab­lement l’avenir. Elle et son mari ont des problèmes de santé, ils savent qu’ils ne seront pas toujours là. Qui prendra leur place auprès de Marie ? Comment partir sereins sans être sûrs qu’on laisse son enfant « différent » dans un environnem­ent propice à son bien-être ?

(2) Il y a quelques jours, Marie a essayé de se jeter sous une voiture.

1. Tous les prénoms ont été modifiés.

2. Pour contacter nos témoins : 04.93.35.26.78.

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(Photo N. C.) Trouver « la bonne place » pour leur enfant, celle qui pourra leur permettre de « partir » un peu plus sereins, c’est « l’obsession » d’Anne, René et Brigitte. Celle aussi de milliers d’autres parents

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