« Nos enfants n’ont leur place nulle part »
Lorsque nous allons à la rencontre d’Anne et René, nous faisons aussi la rencontre de Brigitte, une Niçoise de 76 ans (1). Elle aussi s’épuise depuis des décennies à trouver enfin le centre capable d’héberger dans de bonnes conditions sa fille, Laurence, aujourd’hui âgée de 55 ans. «Si, dans 15 jours, il ne se passe rien, je me suicide en emportant ma fille avec moi » : elle se souvient de chaque mot de la missive qu’elle a un jour adressée à Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Ce jour où, à bout de ressources, elle ne voyait plus aucune issue pour sa fille Laurence, alors que tous les établissements lui opposaient une fin de non-recevoir. « Pour une autiste de bon niveau comme Laurence, il n’y a pas d’établissements adaptés. Nos enfants n’ont leur place nulle part. » Et, dans son cas, comme dans celui de milliers d’autres familles, le maintien à domicile est très difficile à envisager. « Laurence est très angoissée et prisonnière de ses obsessions ; lorsqu’elle est avec moi, elle ne me laisse pas une seconde de répit, elle me suit jusqu’aux toilettes, prend mes appels, réclame ma présence à tout instant. » Une situation épuisante aussi bien physiquement que psychologiquement, en dépit de l’amour immense qui lie les deux femmes. Un lien lié aussi à un vécu commun douloureux. « Elle a grandi dans un environnement familial très violent. À 6 ans, elle a commencé à délirer. »
« On les voit régresser »
Depuis avril 2018, Laurence séjourne à l’hôpital Sainte-Marie à Nice. «Unlieude soins et non un lieu de vie », s’accordent à reconnaître même les professionnels de santé de l’établissement psychiatrique. Et aujourd’hui, Brigitte assiste, impuissante et désespérée, au jeu de ping-pong auquel se livrent l’hôpital psychiatrique et les institutions. « L’échec de la prise en charge, le défaut de personnel, conduisent à traiter les personnes comme Laurence par des doses inadéquates de neuroleptiques qui contribuent à détériorer leur cerveau. » Comme Anne, Brigitte assiste dans la douleur à l’évolution péjorative des troubles de sa fille. « Un jour, alors qu’elle était dans une Maison d’accueil spécialisée, elle m’a dit : “Maman, si tu ne m’enlèves pas d’ici, je me suicide !” On connaît nos enfants, leur potentiel, et malheureusement on les voit régresser », constate tristement la septuagénaire, avant de conclure : « Faute de place, aujourd’hui, on me propose la Belgique ou un Ehpad. » Une maison de retraite pour une femme de 55 ans atteinte d’autisme de bon niveau.
1. Tous les prénoms ont été modifiés.